Stéphane Audrand

Bombe radiologique "sale" : techniquement difficile et au final peu dangereux - un fil pour tenter d'y voir clair dans l'hystérie collective.
(poke @Michel_Goya @fmagnenou @DSI_Magazine @Marsattaqueblog @SkroZoC ).
(infographie du CdC - https://t.co/u1BglxMvw2) https://t.co/ivu2jMmpqm

"techniquement difficile et au final peu dangereux", c'est en résumé ce que retiens de la lecture d'une étude sur le sujet publiée par le service de recherche du Congrès des États-Unis en 2011 et accessible ici : https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R41891/4

Donc déjà, un rappel de base : ce n'est absolument pas une "arme nucléaire" qui déclencherait une explosion atomique par fission et/ou fusion. Il s'agit, plus prosaïquement en apparence, de "disperser" des matériaux radioactifs pour contaminer l'environnement et les populations. https://t.co/DHN0EAxJAe

D'où des problèmes techniques : quel matériau radioactif, en quelle quantité, comment le disperser, avec quel moyen/vecteur.

Première limite, oublions l'idée de "disperser" du combustible nucléaire plus ou moins irradié. Les pastilles d'uranium de 20g niveau dispersion c'est compliqué, et il en faudrait beaucoup pour produire un effet.
(photo de combustible canadien, donc à haut niveau de politesse :)) https://t.co/Bhhn3OBbm8

Et puis ouvrir les crayons de combustible irradié pour récupérer des déchets ultimes, cela reste un sport de spécialiste, n'essayez pas chez vous. Et c'est finalement assez peu pratique à "militariser" dans un engin explosif : trop d'activité gamma vous grillera avant usage... https://t.co/pZIQ1EXmpk

Idem pour le Yellowcake : oui, il est en poudre, mais son activité radiologique est faible, il en faudrait vraiment beaucoup BEAUCOUP pour produire un effet (oui, on dirait de l'extrait de malt en poudre pour brasseur amateur). https://t.co/WnfHot1lwT

Le consensus semble être d'utiliser des sources radiologiques médicales : disponibles "relativement" facilement et souvent en poudre ou liquide. Elles sont hautement actives et donc propices.

Problème : l'essentiel de leur dangerosité radiologique sera liée à une inhalation / ingestion et plutôt sur une période assez longues (semaines / mois, pas heures). Une "bombe sale" ce n'est pas une arme nucléaire : vous n'aurez pas un gros pic de rayons gamma qui crament tout. https://t.co/5XPdARH1Jm

Le rayonnement produit, c'est du beta, ce qui est pratique en imagerie médicale. Vous voyez donc le problème : si on fait sauter ce genre d'arme, c'est pour avoir un effet "rapide et spectaculaire". S'il faut des mois pour produire un impact... Pas très spectaculaire.

Donc on va devoir jouer sur la peur de l'irradiation et la contamination radioactive. D'où l'idée de frapper plutôt des zones urbaines et des populations confinées. A la campagne, vous allez disperser votre source radioactive sur un champ de patates et puis c'est tout...

Ici vous avez la simulation d'une "attaque sur Washington" avec 50 grammes de Cesium 137. Pour mémoire, c'est environ la moitié de la quantité impliquée dans l'incident nucléaire de Goiânia...https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_nucl%C3%A9aire_de_Goi%C3%A2nia https://t.co/g6hZHneIwq

Dans cette simulation, en pleine ville, on arrive à environ 159 cancers fatals sur 38 000 habitants) à condition que les populations restent pendant un an dans la zone contaminée. Tragique, mais pas vraiment crédible ni spectaculaire. Une arme thermobarique fera mieux/pire hélas.

A Goiânia, les victimes sont mortes rapidement, mais après avoir été en contact prolongé plusieurs jours avec les 93 grammes de Cesium 137. Pas vraiment crédible : pour avoir cet effet sur une ville , il faudrait donc plusieurs kilos de sources radiologiques, sans évacuation...

Sources qui sont plutôt bien connues et contrôlées dans tous les pays bien surveillés par l'AIEA. A ce petit jeu, l'Ukraine est plus transparente que la Russie qui, étant État "doté" au titre du TNP, conserve (légalement) des installations hors de vue de l'agence de Vienne...

Une fois ces sources soustraites aux processus de contrôle, il faudrait préparer un engin capable de les vaporiser par explosion sur une vaste zone. Deux effets alors : sur une population civile, beaucoup de contaminations. Mais si l'évacuation est immédiate et la décontamination

bien conduite, on peut espérer se situer entre 0 et quelques morts. Surtout qu'on a appris depuis Goiânia que par exemple le Bleu de Prusse (cyanoferrate ferrique) est efficace pour aider le corps à se débarrasser du Césium. https://t.co/fokE4MTdX0

Deuxième effet : la contamination du site. Bon, là, ce sera couteux de "tout bien décontaminer" et handicapant pour le pays. Mais les premières pluies lessiveront une grande partie du problème...

Ainsi, à Hiroshima, il faut rappeler qu'en moins de deux ans on était revenu à des niveaux de radioactivité naturelle. Paradoxalement, les villes à sols artificialisés sont plus facilement "lessivables" que les sols naturels et surtout les tourbières...

Bien entendu, au passage, PERSONNE ne pourra confondre ce genre d'arme avec une explosion nucléaire "ratée". Sauf à avoir un niveau de mauvaise foi approchant le score de Sergueï Lavrov au réveil et à jeun.

Notons aussi la difficulté de sa mise en œuvre. Pas moyen de faire autrement qu'un "attentat" au niveau du sol. Aucun missile conventionnel ne se prête à l'emport d'une telle charge et les Ukrainiens abattent entre 50% et 66% des missiles russes tirés sur eux...

Donc, surtout pour attribuer faussement le coup à l'Ukraine, il faudrait que des agents russes fassent des centaines de km derrière les lignes avec une voiture bourrée de radioisotopes et d'explosifs, sans se faire prendre...

Bref, en résumé, une bombe radiologique, c'est compliqué, peu efficace à court terme, cela peut "juste" contaminer une certaines surface pendant quelques années, c'est politiquement très, très couteux, compliqué sur le plan technique et difficile à mettre en œuvre militairement.

En résumé, c'est une connerie.

Maintenant, Vladimir Poutine nous a habitués à pire.
Une fois Kherson évacuée, pourquoi ne pas faire sauter 200g de Cesium et accuser Kyiv ?
Cela permettrait de renforcer le narratif russe dans les pays émergents et de compliquer la reconquête.

Le consensus

Thu Oct 27 13:30:18 +0000 2022