-Boulet-

«Dessinateur, hein?»
Ils échangent des regards. L’un d’eux se penche vers celui qui semble être le chef, un homme inexpressif d’une soixantaine d’années, portant des lunettes d’aviateur me renvoyant mon reflet. Je suis comme un lièvre dans les phares d’une voiture… https://t.co/coPWwxCgv2

«On a un boulot pour vous, on vous recontactera»
Ils s’en vont. La porte de l’appartement se referme. «Qui étaient ces gens, comment étaient-ils entrés?» me demande Natalie. Je lui réponds que je ne sais pas. J’ai peur, mais quelque chose me dit que la police ne m’aidera pas.

Les jours passent, j’oublie un peu l’incident. Et un matin, le téléphone sonne. J’étais pourtant certain qu’il était en silencieux. Aucun numéro ne s’affiche sur l’écran. Juste un mot.
«Répondez.»
La main tremblante, je décroche. Je reconnais immédiatement la voix de l’homme.

«Une voiture vous attend en bas». Je demande qui est à l’appareil, mais ça a raccroché. Un point rouge apparaît sur le mur. Un laser de sniper. Lentement, il passe sur mon bras, mon torse, puis sur le bureau, comme pour diriger mon regard vers la fenêtre.
Je regarde dehors.

Dans la rue, il y a une grosse berline noire. Elle fait un appel de phares. La saleté sur la vitre me montre où le petit point rouge la traverse. Il est au beau milieu de mon front.
Je déglutis, et je crie à Natalie dans la pièce voisine «Je vais faire un petit tour»

Je ne vois ni n’entends plus rien. Ils m’ont mis une cagoule opaque sur la tête dès le premier carrefour. On tourne, tourne encore. Puis on finit par rouler plus ou moins en ligne droite avec juste quelques virages occasionnels. Nous sommes loin de Paris. À la campagne.

Au bout d’une bonne heure, la voiture ralentit et s’arrête. On me traîne dehors. Je sens des graviers sous mes pieds, puis une pièce humide. On parle autour de moi. Je suis poussé dans un ascenseur. La descente est interminable. Pourtant, l’engin semble aller très vite.

Je suis assis sur une chaise. On m’enlève la cagoule, et je ne comprends pas tout de suite ce que je vois. Une forme étrange bouge en face de moi, de l’autre côté d’une vitre épaisse. Elle semble faite de magma bleuté, et tourbillonne comme une aurore boréale.

J’ouvre la bouche pour parler, une voix féminine m’interrompt. «Ça ne comprend le langage. Ça n’a pas de perception sonore.»
Une femme d’une cinquantaine d’années, portant masque et lunettes noires.
«En revanche on sait que ça voit. On essaie de communiquer avec des images.»

Elle me tend un carton.
«Dessinez»
J’essaie de protester. «Est-ce que quelqu’un va me dire…»
«Dessinez. Ou Natalie va vous attendre très longtemps.»

Je dessine. Je commence par des objets simples. Un écran à côté de la vitre semble décrire ce que je trace. Pomme. Tasse. Humain.

Je comprends que c’est la créature qui communique. Elle a appris. Je ne suis pas le premier à m’asseoir sur cette chaise.
Je la dessine. Je me dessine. J’écris «Gilles» au dessus de moi, et un point d’interrogation au dessus d’elle.
Elle me répond «Ça ne marche pas pour nous»

«Comment sait-elle écrire?» demandé-je à la scientifique. «Elle ne sait pas. On a un algorithme qui convertit ses mouvements en mots. Ce n’est pas parfait.»
Je continue à dessiner. Des planètes. Des constellations. Quand je dessine celle du Bouvier, et elle réagit. «Maison.»

Je suis sidéré. La femme ne bronche pas. Finalement, c’est la créature qui reprend le dialogue.
«Qui est-tu?»
Comment répondre avec des dessins?
Je dessine ma famille, Natalie. Ma maison. La créature semble hésiter, comme si elle s’efforçait de comprendre.
«Métier?»

Je lui montre le matériel, et je me dessine en train de dessiner. La créature s’agite.
Les mots défilent à toute vitesse sur l’écran.
«Oh wow ça doit être sympa, ça. Moi je pourrais pas, il faut un don. Vous en vivez? Moi j’ai plus trop le temps d'en lire avec le boulot…»

«…Mais vous arrivez à en vivre? Ça doit pas être facile, quand même. En tout cas mes gamins y z’adorent. Vous avez fait des trucs connus? »
«Bon.» fait la scientifique. Au moment où je me retourne pour lui parler, une piqûre dans mon cou. Immédiatement ma vision se brouille.

Juste avant de sombrer, je tourne une dernière fois mes yeux vers l’écran.
«…Et Larcenet, vous l’avez rencontré? Il est sympa dans la vraie vie? »

Et tout devient noir.

Quand je me réveille, je suis dans mon lit. Natalie n’a même pas remarqué mon absence.

Mon Oct 17 11:04:31 +0000 2022