Au tribunal de Nanterre, se tient aujourd’hui le procès de Marine Le Pen et Gilbert Collard pour avoir diffusé sur les réseaux sociaux des photos d’exactions de l’état islamique.
La présidente du Rassemblement national vient d’arriver au tribunal. Elle s’adresse en ce moment aux journalistes présents pour dénoncer un « procès politique » et se dit « victime d’une situation qui devrait indigner ».
L'audience doit démarrer dans quelques minutes. Marine Le Pen et Gilbert Collard font leur entrée dans la salle en compagnie de leurs avocats.
L'audience est ouverte.
La présidente : "je vais appeler à la barre Mme Marine Le Pen et Me Gilbert Collard. Vous pouvez prendre place devant vos conseils ou devant la presse."
Me Collard : "devant nos conseils".
La présidente indique, séparée de ses assesseures par des panneaux transparents : "on a fait ce qu'on pouvait dans le respect des consignes sanitaires et dans l'espoir d'un débat ouvert et libre".
La présidente : "Mme Le Pen, pouvez-vous venir à la barre, s'il vous plait ? Vous vous appelez Marion Le Pen.
La prévenue acquiesce.
"Vous êtes née en 1970 à Saint-Cloud."
- Non, en 1968 à Neuilly.
- Ah ben, voilà, ça commence.
Le présidente rappelle les faits pour lesquels Marine Le Pen et Gilbert Collard sont jugés aujourd'hui : pour avoir diffusés sur les réseaux sociaux des images d'exactions de l'état islamique, images susceptibles d'être vues par des mineurs.
La présidente entame son résumé des faits et s'interrompt très vite : "S'il vous plaît, monsieur Collard". Celui-ci était en train de discuter avec son avocat. "Je vais vous expliquer, il y a un problème d'acoustique et je vous entend plus que le retour de ma propre voix".
La présidente rappelle que Marine Le Pen a diffusé sur son compte Twitter trois photos "issues de propagande de l'état islamique" accompagnée de la légende : "Daech, c'est ça".
Ces trois photographies représentaient : le journaliste américain James Foley décapité, le pilote jordanien brûlé vif dans une cage ainsi que celle d'un soldat syrien écrasé vivant par un char.
Au sujet de Gilbert Collard, il s'agit de la publication d'une photographie "d'une personne "défigurée, au crâne enfoncé et les mains liées derrière le dos", rappelle la présidente "accompagnée du commentaire "Bourdin compare le FN à Daech : le poids des mots, le choc des bobos".
Marine Le Pen s'avance à la barre pour répondre aux questions de la présidente.
- Vous êtes bien la personne qui a diffusé les trois photographies qui sont l'objet de notre débat ?
- Parfaitement.
Présidente : "vous avez une idée du nombre d'abonnés de votre compte Twitter à l'époque ?"
Marine Le Pen : "j'en fait assez peu cas. Peut-être un million."
Marine Le Pen : "ce jour-là, je regarde une émission entre Jean-Jacques Bourdin et Gilles Kepel. Et monsieur Bourdin fait un parallèle entre le front national et Daech. Il indique, je reprends ses mots, qu'il y a "une communauté d'esprit". "
Marine Le Pen : "qu'un petit marquis médiatique puisse commettre une telle comparaison m'a indiquée au plus profond de moi-même. Je suis aussi une mère de trois jeunes adolescents à l'époque, susceptibles d'entendre un journaliste faire une comparaison entre leur mère et Daech."
Marine Le Pen : "je regarde sur Google "assassinat Daech" et demande à mon community manager de faire un tweet avec trois photos et écrire "Daech c'est ça".
Présidente : vous n'avez pas choisi vous-même ces photos?
- Non, mais c'est tout comme. J'en assume la responsabilité.
Présidente : vous n'avez pas envisagé de les accompagner d'un commentaire éducatif ?
Marine Le Pen : "Daech c'est ça", je crois que c'est un commentaire éducatif. Cela montre ce qu'est Daech c'est à dire une structure terroriste qui torture, qui tue, qui viole.
Présidente : "est-ce que vous considérez que ces photos peuvent porter atteinte à la dignité humaine ?"
Marine Le Pen : "mais Mme, c'est le crime qui porte atteinte à la dignité humaine. Et c'est le parallèle avec Daech qui porte atteinte à la dignité de mon mouvement."
Présidente : "je reprends ma question car je ne crois pas que vous y ayez vraiment répondu : est-ce que ces photos portent atteinte à la dignité humaine?"
Marine Le Pen : "non, madame, car c'est de l'information."
Présidente : pourquoi avez-vous retiré la photo de James Foley ? "
Marine Le Pen : "je l'ai retirée à partir du moment où la famille m'a demandé de la retirer, j'ai pensé que cette photo était susceptible de leur faire de la peine. Mais les autres étaient des victimes anonymes."
Marine Le Pen : "le principe de la liberté d'expression c'est de laisser la liberté à la personne de décider des moyens dont elle en use."
Marine Le Pen : "je trouve si grave la minoration des crimes de Daech qui consiste entre le parallèle entre un mouvement républicain et un groupe terroriste que je viens d'écrire un projet de loi. Et si ma loi est votée un jour, c'est monsieur Bourdin qui serait à ma place ici."
Marine Le Pen : "ces photos sont libres de droit et visibles en tapant sur n'importe quel moteur de recherche qui existe en France. Et, chaque jour dans les journaux sont publiés des images qui pourraient faire l'objet de poursuite de votre parquet, monsieur le procureur."
Marine Le Pen : "si un photo de la mort était une atteinte la dignité humaine, alors la photo du petit Aylan était le summum de l'atteinte à la dignité humaine. Et cette photo d'un petit garçon de deux ans mort sur une plage a été diffusée dans l'intégralité des médias français".
Procureur : "quelle différence entre la photo du petit Aylan et celles que vous avez diffusées, attentatoires à la dignité humaine?"
Marine Le Pen : "c'est à vous de m'expliquer. C'est vous qui avez décider de me poursuivre moi et pas ceux qui ont diffusé la photo d'Aylan."
Gilbert Collard est à son tour invité à s'avancer à la barre.
La présidente précise d'emblée : "je vais vous poser les mêmes questions en essayant de temps en temps d'arriver à couper le flot de parole qui je n'en doute pas sera le vôtre. "
Alors que la présidente entame l'interrogatoire de Gilbert Collard, Marine Le Pen quitte la salle.
La présidente la rappelle à l'ordre : "Mme Le Pen, veuillez regagner la salle."
- je voudrais m'entretenir avec mes avocats.
- il est d'usage d'en informer le tribunal.
Présidente : "il faudrait qu'on s'entende sur le sens du commentaire "le poids des mots, le choc des bobos". Il s'agit du gamin qui tombe et s'écorche?"
Gilbert Collard : "ah non, les bourgeois-bohème !"
Gilbert Collard : "si jamais j'avais conscience madame que j'ai commis une infraction, je vous le dirais. Mais franchement, j'ai pas eu le sentiment d'avoir perverti la jeunesse ce jour-là."
La présidente rappelle Marine Le Pen à la barre : "vous n'avez jamais eu peur que la diffusion de ces photographies puisse inciter certains jeunes à dire "c'est ça que je veux".
Marine Le Pen : "pour moi ces photos sont choquantes. Elles provoquent le rejet et pas l'adhésion."
Marine Le Pen : "moi qui suis protégée par la police contre Daech depuis six ans, partout où je vais, je n'aurais jamais imaginé que ces photos puissent susciter l'adhésion."
Marine Le Pen : "les jeunes qui veulent rejoindre Daech ne vont pas sur le compte Twitter de Marine Le Pen, compte tenu que depuis 20 ans, je suis l'une de celles qui lutte avec le plus d'énergie contre Daech. D'ailleurs je suis protégée depuis 6 ans dès que je sors de chez moi."
Gilbert Collard : "nous sommes en première ligne contre l'état islamique. On est menacés, vous ne pouvez pas savoir ce qu'on vit ! Mes gosses, elles sortent pas seules. On est à fleur de peau sur ces questions là. Donc quand on voit Bourdin nous comparer à l'état islamique ...."
Gilbert Collard : "si demain je suis devant un individu qui nie la Shoah, je suis capable de lui sortir une photo de camp de concentration ! Et sur les violences faites aux femmes, on ne peut pas montrer de photos ? "
La présidente rappelle que le casier judiciaire de Gilbert Collard comprend une condamnation pour diffamation envers un particulier.
Gilbert Collard : "il y a un pourvoi."
- pour moi, une décision qui est inscrite au casier est définitive.
Présidente : "quels sont vos revenus et vos enfants à charge ?"
Gilbert Collard : "c'est ma femme qui s'occupe de tout mais je crois que je perçois 7000 euros/ mois.
- J'ai une fille à charge. Et une autre fille.
- 2 filles à charge?
- Elles ne devraient plus l'être, mais bon.
Marine Le Pen tient a ajouter quelque chose. Elle souhaite s'expliquer sur son refus de se soumettre à une expertise psychiatrique : "l'humiliation qui nous est faite est objectivement et parfaitement inutile."
Gilbert Collard : "moi, je me serais volontiers soumis à une expertise car ça ne peut pas faire de mal. Mais quand j'ai vu que l'expert était spécialisé dans les troubles de la transsexualité, j'ai préféré ne pas y aller."
Présidente : "Mme Le Pen, vous êtes une ancienne avocate, je crois. Peut-être l'êtes vous encore. Vous n'ignorez pas que nous devons individualiser nos décisions. Votre refus met le tribunal devant une impossibilité majeure s'il devait entrer en voie de condamnation."
Place aux réquisitions du procureur. "Chacun des deux prévenus a reconnu être à l'origine de ces diffusions. Et tous les deux on mis en avant le désir d'information, ce qui ressort clairement du commentaire de Marine Le Pen "Daech, c'est ça"."
Le procureur dans son réquisitoire : "Twitter et Facebook sont accessibles à partir de 13 ans. Ce qui veut dire qu'entre 13 et 18 ans, ce sont des mineurs qui peuvent accéder à ce type de messages".
Le procureur : "dans ce cas, il y avait un trouble à l'ordre public généré par ces tweets. Mais ayez bien à l'esprit qu'on ne pourrait pas ne pas poursuivre parce qu'on ne poursuit pas tout le monde. Car dans ce cas, on ne poursuivrait plus personne."
Procureur : "quand on recherche sur Google avec les mots clés "assassinats et Daech", il me semble que les photos qu'on recherche sont forcément attentatoire à la dignité humaine".
Procureur : "on le dit et on va vous le répéter, la défense est persuadée qu'il y a eu, dans cette affaire, un détournement de procédure par le parquet. On vous dit que le parquet aurait préféré poursuivre dans le cadre du droit de la presse."
Procureur : "c'est notre grande fierté tous les jours d'examiner des procédures pour vérifier qu'elle ne font pas l'objet de détournement ou de garde à vue illégale et de remettre en liberté des personnes qui auraient été poursuivies sur de mauvais fondements".
Procureur : "Madame Le Pen et monsieur Collard avaient parfaitement le droit de diffuser ces images. Ce n'est pas là le problème. Le problème c'est de s'assurer avant la diffusion qu'aucun mineur n'est susceptible de voir ce message."
Procureur : "Madame Le Pen comme monsieur Collard ont tous deux admis qu'ils n'avaient pas fait diligence pour éviter qu'un mineur ne voit ces messages. Madame Le Pen a même ajouté que c'était impossible à faire sur Twitter, rejetant ainsi la responsabilité sur Twitter."
Procureur : "j'ai un peu de mal à comprendre comment il peut y avoir une différence entre la photo du petit Aylan mort sur la plage et la photo de James Foley. Je n'arrive pas trop à voir où est le curseur entre les deux, mais il doit y en avoir un."
Procureur : "La photo [publiée sur le compte Twitter de Gilbert Collard ndlr] est parfaitement attentatoire à la dignité humaine. Le commentaire ne peut avoir pour vocation d'ôter ce caractère attentatoire à la dignité humaine."
Procueur : "moi, je n'ai pas vu de dimension pédagogique personnellement. Ce que j'ai vu c'était la volonté de faire très rapidement un droit de réponse à Jean-Jacques Bourdin. C'était ça l'objectif poursuivi."
Procureur : "je vous demande de considérer les deux prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés et je vous demande de prononcer à l'encontre de chacun d'eux une peine de 5000 euros d'amende."
Me Rodolphe Bosselut pour la défense de Marine Le Pen, rappelle que l'infraction pour laquelle elle est jugée s'inscrit dans "un texte spécial qui concerne les mineurs : le délit qu'on lui reproche est lié à une déviance pédophilique. Il y a un détournement de la procédure!"
Me Bosselut : "quelle modalité technologique je n'ai pas rempli ? Est-ce qu'il y avait un bouton rouge "spécial mineur" à appuyer? Cela pose un problème car cela rend impossible l'exercice des droits de la défense."
Me Bosselut : "c'est à l'accusation de prouver que le mineur aurait pu voir. On a montré récemment sur Netflix un sujet sur un serial killer américain, il y a des photos tirées de l'enquête et il n'y a même pas une interdiction aux moins de 16 ans."
Me Bosselut cite l'un des signalements à la plateforme Pharos qui a été à l'origine de l'enquête : "personnalité politique fasciste qui poste des photos de gens décapités. Je demande la suspension de Marine Le Pen et tout ira bien". "Voilà, madame la présidente."
Me Bosselut : "imaginons que monsieur Bourdin ait osé comparer le parti socialiste avec les nazis. Et imaginons qu'en réaction, Mme Le Pen ait diffusé les photos des américains à la libération des camps ? Quelle aurait été la suite ? Rien, madame la présidente."
Me Bosselut : "cette poursuite, ma cliente ne la supporte pas. Et moi qui ne suit pas politique mais juriste, je ne la comprends pas."
Me Bosselut : "je vous demande respectueusement de considérer que le seul moyen de mettre un terme à cet affaire est de prononcer la relaxe de Marine Le Pen."
Place à la plaidoirie de Me David Dassa-Le Deist, également pour la défense de Marine Le Pen.
Me Dassa-Le Deist évoque les propos de Jean-Jacques Bourdin comme "particulièrement infamants". "Et cela justifie qu'on se défende avec les moyens modernes."
Me Dassa-Le Deist : "on est ici dans un dossier qui nous dépasse car la liberté d'expression est fondamentale. Mais on est dans l'ordre du symbole. Et la liberté d'information c'est ça : ce sont les images les plus symboliques, les plus emblématiques."
Me Dassa-Le Deist : "c'est facile dans des salons confortablement installés, avec vue sur l'arc de triomphe de faire des comparaisons stupides. Mais il faut parfois revenir sur la réalité, les pieds dans la glaise."
Me Dassa-Le Deist : "le mensuel Choc sort un numéro spécial sur les horreurs de Daech. De 68 pages ! Je n'ai pas vu, monsieur le procureur, que vous aviez engagé des poursuites contre le mensuel Choc."
Me Dassa- Le Deist : "aujourd'hui, la violence est transversale, accessible à tous les publics. Le passage à tabac du jeune Youriy, était sur tous les réseaux sociaux et tous les députés se sont passés la vidéo. Que fait le parquet de Nanterre? Alors oui, c'est de la censure !"
Me Dassa-Le Deist : "S'il n'y a pas de garde fou, BFM-TV et toutes les chaînes peuvent être poursuivies. Car il n'y a pas de messages de prévention quand elles diffusent tous les jours des scènes de guerre, d'accident."
Me Dassa-Le Deist : "Je suis presque toutes les semaines devant des chambres de presse. Et c'est inédit. Avec fermeté, je demande à votre tribunal de refuser de se faire tirer par la manche par le parquet car vous ouvririez une boîte de pandore contre la liberté d'expression."
L’audience est suspendue. La décision est mise en délibéré au 4 mai prochain.