Denis Beauchamp 🧢

Petit #thread pour expliquer ce qui se passe ici, parce que ce n'est pas aussi binaire que ce qu'on pourrait penser
⬇️⬇️ https://t.co/guvhyq7fTh

Un peu de vocabulaire pour commencer :

Les néonicotinoïdes sont des insecticides au nom imprononçable, qui luttent contre les insectes en s’attaquant à leur système nerveux.

Ils reprennent le mode d’action d’une substance tout à fait naturelle, contenue dans certaines plantes, et TRES connue : La nicotine.

Oui, parce que la nicotine des cigarettes des gens qui fument, c’est un insecticide que certaines plantes sécrètent pour ne pas se faire dévorer.

C’est peut-être pour cela, au passage, qu’on trouve plus de fumeurs chez les humains que chez les insectes .

La nicotine était donc tout simplement utilisée comme insecticide à partir des années 60.

Dans les années 80, les fabricants d’insecticides parviennent à synthétiser les néonicotinoïdes,qui ont l’avantage d’être plus efficaces et surtout, plus stables que la nicotine elle-même.

Ils sont ici employés contre les pucerons, qui ont un double impact sur la betterave :
- lorsqu’ils piquent la plante pour en consommer la sève
-lorsqu’ils transmettent des virus à la plante, qui déclenches des maladies telles que les jaunisses.

Un peu comme les moustiques et le paludisme chez nous finalement, mĂŞme principe.

Ces insecticides, grâce à leur grande efficacité, ont connu un fort développement dans le monde sur toutes cultures, et sont appliqués soit par épandage sur le sol, soit par pulvérisation sur la plante, soit par enrobage de la semence pour que la plante sécrète la substance.

🚨MAIS🚨

L’impact sur les insectes pollinisateurs a conduit à la fin des années 90 à l’interdiction de nombreux produit, et à l’encadrement très strict de ceux qui restent.

Ainsi sur la betterave, ils sont utilisés en enrobage de semence uniquement.

En septembre 2018, l’UE interdit 5 molécules faisant partie de la famille des néonicotinoïdes, dont celle applicable sur la betterave.

En 2019, la campagne de betterave se passe sans trop d’encombres.

Mais en 2020, les pucerons sont de retour, et ce qui devait arriver, arriva : la production de betterave chute, de 30 % Ă  50%

https://agriculture.gouv.fr/filiere-betterave-sucre-plan-de-soutien-gouvernemental-pour-faire-face-la-crise-de-la-jaunisse

Contrairement à ce qu’on annoncé certains politiques en mal de buzz, les alternatives à l’époque ne sont pas au point et ne fonctionnent pas : on a donc perdu par endroit entre un tiers et la moitié de la production à cause des insectes.

Le gouvernement 🇫🇷autorise donc les producteurs de betterave, pour les semis 2021,2022 et 2023, à utiliser à nouveau cet insecticide, mettant en avant le manque d’alternative et le danger que représenterait la perte de la filière en France, en terme de souveraineté alimentaires.

Ordre est donné à @INRAE_France de trouver des solutions techniques.

Au vu de l’échec technique à trouver des alternatives, le gouvernement Français envisageait de prolonger encore une fois cette dérogation pour l’utilisation en semences enrobées.

Les arguments avancés sont (entre autres) que la betterave ne fleurit pas la 1ere année, aucun insecte pollinisateur ne va donc la butiner puisqu’elle est ramassée avant floraison (sauf pour les quelques producteurs de semence de betteraves ; pour avoir une graine, il faut une )

L’impact de ces insecticides se limitent donc à leur rémanence dans le sol .Pendant ce temps, la recherche propose plusieurs solutions

Basiquement, pour lutter contre un insecte, il faut

❌Soit l’empêcher de venir
đź‘ĽSoit le rendre inoffensif
🧹Soit l’éliminer avec des méthodes inoffensives pour les autres

@agritof80 nous détaille dans ce thread l’échec des méthodes alternatives proposées à ce jour par la recherche :

https://twitter.com/agritof80/status/1611668346679828480?s=20&t=R6uQyYidfYh5L4jiSXDoCg

Une autre solution, serait d’obtenir, par édition génétique, une betterave naturellement résistante à la jaunisse. Pas de chance, ces techniques, si elles sont autorisées dans le monde, restent interdites en Europe.

Parce que la recherche génétique pour soigner des humains, c’est bien, mais la même chose pour les plantes, c’est mal.

On est donc dans une impasse technique avec un choix cornélien :

➡️Soit on interdit ces produits et on risque à terme de ne plus avoir de production en France (et donc on va l’importer d’ailleurs, notamment de pays qui utilisent ces produits), MAIS on protège les insectes pollinisateurs (chez nous, mais on accentue l’inverse chez les autres)

➡️Soit on les autorise, on garde notre souveraineté alimentaire, MAIS on ne protège pas les insectes pollinisateurs.

La dérogation Française s’appuyait sur une sorte de compromis entre les deux : pour résoudre le problème de la rémanence dans le sol , interdiction a été faite de cultiver des plantes à fleurs derrière la betterave pendant plusieurs années.

Le législateur Français a ainsi estimé que les précautions étaient suffisantes pour préserver l’environnement, tout en en gardant notre production de sucre sur le sol national.

La décision de la cour de justice Européenne vient tout remettre à plat. Partant de là, quelles conséquences ?
❌La filière sucre n’est plus protégée contre les pucerons et leurs maladies. Le raffinage est d’ailleurs une industrie lourde qui nécessite des volumes importants.

🦋Les insectes vont-ils mieux se porter ? Peut-on mesurer cette amélioration potentielle ? Rien n’est moins sûr, les précautions étaient – semble-t-il – suffisamment drastiques pour les préserver.

🧬La technologie d’édition génétique va-t-elle être enfin autorisée , pour faire avancer la recherche ? L’opposition à ces techniques est politique, souvent violente (on rappelle les destructions de parcelles d’essai par les militants )

Cette opposition, violente, me rappelle celle des anti-nucléaires dans les années 90, qui se retrouvent d’ailleurs aujourd’hui marginalisés dans l’opinion publique ...

Bref on est face à un problème technique, environnemental, technologique et politique à la fois, et on en revient sans cesse à l’équation « réussir à nourrir tout le monde, en préservant l’environnement et en garantissant que le producteur puisse en vivre"
https://twitter.com/GrainHedger/status/1310584959208431618?s=20&t=R6uQyYidfYh5L4jiSXDoCg

Il va falloir beaucoup, beaucoup de courage politique pour sortir de cette impasse.

Fri Jan 20 12:50:11 +0000 2023