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🚨 Procès de Camille, étudiante/libraire, jugée suite à la manifestation de jeudi et placée en détention pour refus de donner code de téléphone et empreintes digitales.
Contenu des débats (avec en prime un mensonge policier) et verdict ⬇️
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#RĂ©formeDesRetraites https://t.co/BjLzLIT3jG
Cet après-midi était jugée Camille, étudiante et jeune libraire, suite à sa participation à la manifestation de jeudi dernier, son interpellations dans des circonstances très floues, et sa mise en détention pour refus de communiquer code de téléphone et empreintes digitales.
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À titre liminaire, son avocate a soulevé des nullités de procédure au regard de deux moyens.
Le premier moyen concernait la notification tardive des droits, contestant ainsi les « circonstances insurmontables » justifiant ledit retard.
Pour son avocate, cette notification
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tardive n’était pas justifiée, le commissariat étant de surcroît proche du lieu des faits (interpellation 16h30, notification 18h).
Elle précisait que la doctrine du maintien de l’ordre était un choix politique et que le Tribunal, garant des libertés individuelles, n’avait
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pas à s’y plier.
En réalité, si Camille est restée dans l’expectative sur les raisons de son interpellation et menottée plus de deux heures, c’est parce que les policiers attendaient des infractions futures non encore commises afin de remplir leurs camions avant d’aller au
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commissariat.
L’avocate affirmait également que les dispositions de l’article 429 du CPP n’étaient pas respectées en ce que le commandant ayant établi le procès-verbal n’était pas l’agent interpellateur et ne se trouvait pas sur le lieu des faits. Ledit procès-verbal
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ne contenait en outre aucun horaire. Seule figurait la date.
Second moyen : sur le refus d’empreinte, l’avocat soulève l’inconventionnalité de la politique du Parquet au regard du droit communautaire qui prime sur notre droit interne, notamment vis-à -vis
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du récent arrêt rendu par la CJUE en date de janvier 2023, lequel s’oppose à la collecte systématique et indifférenciée des empreintes lorsque n’est pas prouvée une « absolue nécessité ».
L’avocate rappelle les dispositions de l’art. 55-1, al. 2 du CPP qui revêt une
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formulation impérative ne laissant pas une marge de manœuvre à l’OPJ.
Or, Camille contestait les faits ayant entraîné son interpellation et jugeait, par conséquent, injustifié de donner ses empreintes au regard de l’absence d’infraction.
Le Parquet répondait à ses
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demandes de nullités.
Il justifiait tout d’abord les « circonstances insurmontables » en raison du « nombre de personnes interpellées » et appelait à « tenir compte des réalités concrètes ».
Ensuite, sur l’exception d’inconventionnalité, il indiquait que la Cour de
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cassation s’était prononcée sur ce point dans un arrêt de 2020.
Pour lui, le récent arrêt de la CJUE appelait à un examen de proportionnalité. Dans le cas de Camille, le Parquet déclarait qu’il y avait une « suspicion d’infraction », justifiant ainsi une garde à vue.
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Le Parquet concluait ainsi au respect de la conventionalité et à la proportionnalité du dispositif français à l’égard des dispositions de la CJUE.
L’avocate de Camille y répondait.
Sur les circonstances insurmontables, elle insistait sur l’absurdité de justifier la
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privation de liberté sans contrôle du juge.
Sur la conformité, elle disait qu’il y avait un encadrement concernant la prise ADN, car la CEDH était passée par là (Camille avait refusé de donner son ADN mais n’a pas été poursuivi pour cela).
Or l’avocate indiquait qu’il n’y
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avait pas de contrôle de proportionnalité concernant les empreintes. Les dispositions indiquant « l’OPJ procède » et non « l’OPJ peut procéder » comme c’est le cas pour l’ADN.
Le Parquet y apportait une dernière observation et l’incident était joint au fond.
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Nous arrivons désormais au fond du dossier.
Le dossier démarre par une fiche interpellation, datée du 23 mars 2023 à 16h40.
Cette fiche indiquait que la mise en cause était « dans un groupe de black bloc », qu’elle était vêtue « en noir »,
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qu’elle était « en possession de lunettes de piscine, d’un masque » et qu’elle était « vu en train de jeter des projectiles en direction des policiers ».
Elle était interpellée pour ces faits.
Une photographie était prise et contredisait cette thèse. Nous y reviendrons.
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Les images des caméras des vidéosurveillance étaient exploitées.
Il en ressort que l’ « on [y] voit des casseurs » mais que l’ « on ne voit pas la mise en cause ».
Les images montrent une charge policière, une personne qui chute et une interpellation.
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Il est enfin indiqué dans le PV de constatation desdites images que les policiers ne sont « pas en mesure de préciser s’il s’agit d’un homme ou d’une femme » mais qu’il « semblerait que ce soit [la mise en cause] ».
La parole revenait à Camille qui faisait une déclaration.
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Elle se disait fatiguée par la détention provisoire, insistait sur son droit à manifester. Elle indiquait avoir un manteau pour se « protéger de la pluie », des gants « de vélo » et un masque pour se « protéger des gazs ».
Elle disait être tombée suite à une charge avant
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d’être interpellée.
En garde Ă vue, elle indiquait que les policiers essayaient de la dissuader de demander un avocat.
Elle disait avoir refusé de donner ses empreintes et son code de téléphone car cela constitue une « grave atteinte à sa vie privée » et car elle n’avait
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« rien à se reprocher ».
Elle déclarait, qu’en quelque sorte, on lui reprochait « juste d’avoir été là ». Aucune preuve d’un lancer de projectile. « Ça aurait pu être n’importe qui à ma place ». Elle terminait son propos en dénonçant une « arrestation arbitraire ».
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Le Parquet énonçait alors ses réquisitions.
Il reconnaissait la possibilité de participer à une manifestation mais cela devait s’effectuer « dans le respect des lois ».
Pour lui, l’atteinte à la vie privée invoquée par Camille devait être contrebalancée avec le principe
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« d’égalité de tous devant la loi ».
Le Parquet considérait que l’attitude de la mise en cause était constitutif d’un « refus de concourir à une enquête », laquelle peut écarter la culpabilité d’une personne.
Il considérait en outre que « les différents refus font que
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[la mise en cause] n’a pas permis d’éclaircir les circonstances de sa participation » ou non aux faits lui étant reprochés.
Le Parquet prend acte que Camille conteste les faits, mais indique qu’un constat policier, qui fait foi jusqu’à preuve contraire, indique que l’on
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verrait la mise en cause « jeter des projectiles ».
Le Parquet indique que l’attirail « masque/gants/sérum physiologique » pouvait être vu comme étant un attirail « d’attaque » et non « de défense » comme l’indiquait la mise en cause.
Le Parquet considère que Camille
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« comptait participer à un mouvement de foule » et à « d’éventuelles dégradations et violences ».
Ajoutant à cela le « matériel retrouvé sur elle », et son « refus de concourir à l’action de la justice », est requise une peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis simple,
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la confiscation de son téléphone et 400 € d’amende.
Arrive la plaidoirie de la défense.
Sur le refus de communication du code du téléphone, l’avocat rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation et l’arrêt du 3 mars 2021 où cette dernière impose à ce que soit réalisé
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un minimum de recherche sur le téléphone pour vérifier la présence d’un dispositif de chiffrement (code).
Or, dans la procédure, rien n’indique que ces recherches ont été entreprises. Il n’est même pas précisé s’il s’agit d’un smartphone ou non.
Relaxe est demandée sur ce
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point.
Sur la question des empreintes digitales, il ressort de la procédure que la mise en cause a refusé de se soumettre à la prise d’empreinte « lors de la vérification d’identité ».
Or l’identité de cette dernière ne souffrait d’aucune contestation, sa carte d’identité
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étant en sa possession dans sa poche. Relaxe est demandée.
L’avocate de la défense rappelait que sa cliente n’était pas poursuivie pour violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique.
Sur l’infraction de participation à un groupement formé en vue de
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la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, infraction au cœur du dossier, l’avocate rappelle le caractère « très particulier » de cette dernière (« presque de la prospective judiciaire »).
Elle indique la nécessité de
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« faits préparatoires ».
Seul élément ici : une fiche interpellation indiquant un jet de projectile.
Le policier ayant rédigé cette fiche n’a jamais été confronté et était dans l’incapacité de confirmer cette information par téléphone (« j’ai vu un groupe lancer des
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projectiles »). Pour rappel, l’exploitation des caméras de vidéosurveillance n’apportait aucun élément.
L’avocate de Camille indiquait également que le matériel retrouvé sur cette dernière ne constituait pas non plus un élément préparatoire.
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Au soutien de cette affirmation, elle lisait un arrêt qui indiquait qu’un matériel similaire retrouvé sur un manifestait ne « constituait en rien un élément préparatoire de commettre cette infraction ».
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Plus problématique encore : dans le compte rendu d’interpellation, le policier indiquait que Camille était vêtue en noir. Or, dans une photographie prise lors de son interpellation, Camille a un pantalon blanc, une écharpe de couleur. Son visage n’est pas dissimulé,
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contrairement aux dires de ce policier ayant procédé à son interpellation.
Il a coché ces éléments dans le PV d’interpellation : la photographie prouve le contraire.
Camille est ainsi poursuivie sur la seule parole d’un policier dont la parole est contredite par la photo.
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Aucun élément extérieur ne corrobore la version de ce policier, concernant la dissimulation du visage de Camille ou un éventuel jet de projectile.
L’avocate de la défense termine sa plaidoirie en disant que la procédure n’a pas été sans conséquence pour la mise en cause,
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notamment du fait de plus de 95 heures de privation de liberté et d’une mise en détention.
Selon elle, Camille est la victime d’une politique pénale du Parquet de Paris voulant réprimer très durement les manifestants, de surcroît lorsque ces derniers refusent de divulguer
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leurs empreintes ou leur code de téléphone.
Relaxe est demandée pour l’ensemble de ces chefs.
Camille n’a rien à ajouter et la Cour se retire pour délibérer.
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Verdict :
La Cour fait droit à l’exception de nullité concernant le procès-verbal de circonstances insurmontables.
Le Tribunal entend parfaitement qu’en cas de manifestation, il puisse y avoir un premier document général de contexte sur des éléments prévisibles.
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Néanmoins, le Tribunal considère qu’à partir du moment où des personnes font l’objet d’une garde à vue, d’une prolongation de garde à vue, etc., alors « il appartient dans le cadre de cette garde à vue, de se rapprocher notamment de l’agent interpellateur
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pour faire préciser au cas d’espèce les circonstances insurmontables qui ont concerné la situation de [la mise en cause] ».
« En l’absence de ces éléments plus personnalisés, le Tribunal fait droit à la nullité et donc annule la garde à vue ».
De ce fait, la relaxe tombe
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automatiquement concernant le refus de la prise d’empreinte et de la divulgation du code de téléphone découlant de la garde à vue.
Concernant la dissimulation du visage et la participation à un attroupement, le Tribunal entre en voie de relaxe « considérant que les faits
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« ne sont pas caractérisés, l’un comme l’autre ».
Le Parquet dispose d’un délai de 10 jours pour faire appel mais, questionnée auprès de journalistes présents sur place, l’avocate doute que ce dernier fasse appel.
Elle salue le courage de sa cliente, laquelle n’a pas
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voulu céder aux exigences des policiers et a tenu à bénéficier d’une audience publique, et non à être déférée comme c’est souvent le cas en vue d’un classement sous condition en raison de son caractère non public.
L’avocate me précisait que, dans le PV d’interpellation, le
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policier indiquait également que la mise en cause était porteuse de lunettes de piscine lors de son interpellation. Là encore, ce n’était pas le cas.
Sans cette photographie rétablissant les faits, Camille aurait très probablement été condamnée pour dissimulation du visage
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et participation à un attroupement suite aux affirmations de l’agent interpellateur.
Cette arrestation s’inscrit dans le cadre d’une très forte répression policière visant à décourager les manifestants.
Pour rappel, le soir du 49.3, 97 % des personnes interpellées à Paris
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ont été relâchées sans la moindre poursuite.
Pour Camille, cette garde à vue abusive est allée plus loin, avec notamment un placement en détention dans l’attente de son procès.
Une dernière mission incombe à l’avocate de Camille : obtenir la suppression des empreintes
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de sa cliente, prise de force Ă Fleury-MĂ©rogis.
Peu avant le verdict, un policier présent dans la salle disait à sa collègue qu’il ne pouvait « y avoir qu'une condamnation, car sinon c’est un Stade de France tous les jours » [y voir ledit fiasco du Stade de France].
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Eh bien non !
La Justice a tranché. Aujourd’hui. Loin de cette forte répression policière et en toute indépendance.
Les manifestants sont forts, déterminés, et ne se laisseront pas intimidés.
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