Coup de gueule d'un prof, excédé :
"Hello.
Bon, désolé de casser l'ambiance mais vu le drame qui a été relayé depuis hier (un prof d'histoire décapité parce qu'il faisait son métier, avec les couilles que cela nécessite car il en faut, hélas, et c'est bien là tout le problème)
je vais me permettre à chaud quelques remarques qui me tiennent à coeur.
Déjà, laissez tomber les plans marketing du genre "Je suis enseignant" ou encore "Je suis prof". Parce que personne n'est prof à la place des profs
métier que d'ailleurs plus personne ne veut faire tout en ayant un niveau de compétence digne de ce nom, précisément parce que tout le monde a bien pigé que prof dans ce pays en train de sombrer, c'est pas un plan de carrière si cool que cela.
Les profs sont devenus une variable d'ajustement des finances publiques avec salaires bloqués depuis 10 ans et retraites massacrées, soit une dévalorisation officielle de la profession dont les conséquences psychologiques,
notamment sur les élèves et leurs parents, ne sont pas neutres.
Si un prof est traité comme une merde, étrangement cela finit par vouloir dire pour plein de gens qu'ils sont réellement des merdes, et dans ces conditions,
il ne faut pas s'étonner que sur la thématique "religions et laicité" comme pour tout le reste, ils soient purement et simplement livrés à la vindicte et à l'abandon.
À chaque fois que, sur le comptoir d'un café du commerce, un réseau (a)social, une réunion de famille ou une chronique de BFM, les profs sont présentés comme des tire-au-flancs ou des "privilégiés" qui devraient juste s'estimer heureux d'avoir un boulot de planqué pas si mal payé
la perception du métier dans la société est aggravée.
Quotidiennement je constate cette manière directe ou indirecte de saper les fondements de notre autorité. Que chacun y réfléchisse, en gardant à l'esprit la dimension à la fois symbolique et concrète
de cette catastrophe civilisationnelle se déroulant actuellement : un pays qui ne respecte pas ses profs non seulement surexpose ces derniers, mais surtout détruit son propre avenir.
Je ne connais pas un seul Etat moderne et développé, sinon la France, qui soit allé si loin
ces 20 dernières années dans la démolition de ce qui a été, autrefois, l'un des fleurons de notre culture, l'une des plus belles créations de la République (République dont, de toute manière, tout le monde se fout éperdument).
Il est évident que si les profs se battent encore pour la République, l'inverse n'est plus vrai. Les conséquences comme celles d'hier n'en sont que plus logiques...
Le prof aujourd'hui se bat contre plusieurs sources d'agressions simultanées.
Il y a les parents qui nous trouvent trop laxistes, ou trop sévères.
La hiérarchie, globalement lâche et malveillante (à tel point d'ailleurs que je prends même un risque en publiant ici ce billet d'humeur, mais j'ai décidé de prendre ce risque,
parce que mon écoeurement est parvenu à un tel stade que je m'en fous, je suis prêt à coller au tribunal n'importe quel sbire de l'institution qui désormais me collerait une convocation ou une énième sanction, voire pire).
Il y a un paquet de médias mainstream ou non qui participent du bashing anti-profs, -- avec point culminant pendant la période confinement des mois derniers où il a été question de profs "décrocheurs" et autres joyeusetés, alors que la profession s’est mobilisée comme jamais
afin de sauver ce qui pouvait l'être, pendant que notre ministre, les rectorats et corps d'inspection pataugeaient dans la semoule, incapables eux-mêmes de ne serait-ce que suggérer un semblant de stratégie pour gérer le distanciel.
La propagande semble avoir en partie bien fonctionné, et les mêmes bâtards qui nous ont cassé du sucre sur le dos, méthodiquement, voudraient nous faire croire que maintenant, ils sont derrière nous, à la hauteur des enjeux ?
Et là maintenant, je fais quoi, moi ?
Ben, tout bonnement, déjà, je réfléchis au discours que je vais bien devoir tenir à ma fille de neuf ans pour lui expliquer que papa, qui en ce moment même travaille avec ses élèves de cinquième sur les débuts de l'islam, programme oblige, peut mourir à tout moment
sous prétexte que certains parents, gamins et chroniqueurs de mes deux fonctionnent selon un espace-temps situé à des siècles du mien.
Bref, je ne crois pas à une "prise de conscience" de toute la complexité de ces problématiques. Je crois que le mal est déjà trop profond.
Nous aurons vu le naufrage en direct de l'école de la République. Je saurai me souvenir de ceux et celles qui, à des degrés divers, ont participé à cette tragédie.
Peut-être devront-ils un jour en répondre devant l'Histoire, voire les tribunaux, mais rien n'est moins sûr.
Parce que même l'indignation, je m'en branle.
Qu'on arrête de me parler de ce qui serait supportable ou non. Bien des choses sont en effet supportées, de fait, donc c'est qu'elles ne sont pas si insupportables au fond."