Maitre Eolas
@Maitre_Eolas
Sun Nov 01 21:09:57 +0000 2020

⚠️ Ce n’est pas du tout ce que dit cet arrêt. Mais pas du tout. D’ailleurs, cherchez la partie citée entre guillemets dans le texte de l’arrêt. Allez-y. Il n’est pas très long. https://t.co/ugrkGVnOFN

Un de ces quatre, je vous dirai ce que je pense de ces militants qui, au nom d’une cause qu’ils trouvent noble, s’estiment affranchis de la moindre parcelle d’honnêteté intellectuelle. Spoiler : il y aura plein de gros mots. En attendant, voyons ce que dit VRAIMENT cet arrêt.

Une jeune femme de 19 ans porte plainte pour des faits qu’elle a subis de la part de son parâtre depuis ses treize ans, selon ses déclarations.
Le parâtre est mis en examen pour viol par personne ayant autorité et agression sexuelle.

Au terme de l’instruction, le juge d’instruction rend une ordonnance de non lieu partiel sur les faits de viol, et de renvoi devant le tribunal correctionnel pour les faits d’agression sexuelle incestueuse.

Point important sur lequel je n’ai pas d’explication : alors que la plainte portait sur des faits remontant à 2011, le renvoi ne porte que sur des faits de janvier à avril 2017, soit juste avant la plainte. La prescription n’est pas l’explication, elle n’était pas acquise ici.

La plaignante, devenue partie civile, fait appel, demandant que la qualification de viol soit retenue. L’affaire arrive devant la chambre de l’instruction.
NB : A ce stade, l’enquête est terminée, toutes les preuves ont été réunies, il ne reste qu’à les discuter.

La chambre de l’instruction va rejeter la demande de la partie civile, en disant ceci (NB : c’est la cour d’appel qui parle): (TW viol et agression sexuelle, j’aurais dû le mettre avant, désolé)
la pénétration constitutive du viol doit avoir été « d'une profondeur significative »

Or, relève la cour, la plaignante elle-même avait dit que le mis en examen qui lui léchait le sexe l’avait « pénétrée avec sa langue à force d’insister », sans assortir ses propos « d'aucune précision en termes d'intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement ».

ce qui « ne caractéris[ait] pas suffisamment une introduction volontaire au-delà de l'orée du vagin, suffisamment profonde pour caractériser un acte délibéré », ce d’autant qu’il s’agissait de l’unique acte de pénétration jamais allégué par la partie civile,...

que la plaignante n’a fait l’objet d’aucun examen gynécologique (l’arrêt ne le précise pas, mais cet examen étant systématiquement proposé en matière de viol, c’est probablement dû à un refus de la plaignante, et il ne peut bien sûr lui être imposé). Enfin, relève la cour :

… la plaignante dit elle-même que son parâtre « avait peur d'aller trop loin avec ses doigts mais [qu']il ne m'a pas pénétrée. »
La cour en conclut qu’il ne lui est pas possible de qualifier un viol avec si peu d’éléments et des propos de la plaignante qui semblent l’exclure.

La plaignante forme un pourvoi en cassation.
(Pause dramatique, j’ai des enfants à mettre au lit)

C’est en cet état que l’affaire arrive devant la Cour de cassation. Point essentieel pour que vous compreniez : la Cour de cassation juge en droit, pas en fait. Les faits sont acquis, elle retient ceux que la cour d’appel considère comme établis.

Ce pouvoir d’apprécier les faits s’appelle l’appréciation souveraine des juges du fond. Souveraine : on ne peut revenir dessus. La cour de cassation n’en a pas le droit. Elle vérifie que le juge du fond a bien appliqué la loi à ces faits, pour unifier l’interprétation du droit.

Donc, que dit la cour de cassation ?
Elle relève que la cour d’appel a exclu la qualification de viol en s’appuyant sur les faits rappelés, à savoir que la propre plaignante a dit que son agresseur ne l’avait pas pénétrée car il avait peur d’aller trop loin avec ses doigts.

De même, la cour d’appel retient que la seule fois où la plaignante mentionne une pénétration, c’est en parlant de la langue de son agresseur sur son sexe, « à force d’insister » sans autre précision, notamment de durée, d’intensité, de profondeur ou de mouvement, rien.

La cour de cassation constate que la cour d’appel a estimé que ces propos vagues n’étaient pas suffisants pour établir la pénétration sexuelle constitutive du viol, au regard des autres propos de la même plaignantee (« il ne m’a pas pénétrée, il avait peur d’aller trop loin »).

Et elle conclut que cette appréciation souveraine de la cour d’appel d’absence d’acte de pénétration, sur laquelle la cour de cassation ne peut revenir, justifie le sens de la décision. Voilà tout ce que dit la cour de cassation.

La conséquence n’est pas que l’agresseur rentre chez lui avec un mot d’eexcuses et la Légion d’honneur : il sera jugé devant le tribunal correctionnel pour agression sexuelle incestueuse par personne ayant autorité sur la victime. Il encourt jusqu’à 7 ans de prison.

Pour conclure, voici la terrible illustration du combat perdu d’avance entre la vérité et le mensonge. Le mensonge fait appel à la passion : un tweet lui a suffi. La vérité fait appel à la Raison, qui aime prendre son temps : il m’a fallu 17 tweets pour l’expliquer.

Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut renoncer. Au contraire. Comme le dit mon héros :
« Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! »

Sun Nov 01 22:15:58 +0000 2020