Maitre Eolas

Bonjour la France qui se lève tôt, aujourd’hui, on va faire du droit civil, je vous emmène à une audience de référé.

Le juge des référés, c’est le juge de l’urgence et de l’évidence. Toutes les décisions dont on a besoin (très relativement) rapidement et qui ne posent pas de difficultés complexes. Un juge unique, une procédure orale, des mesures provisoires.

Du fait de l’urgence, il y a des référés toute l’année même au coeur de l’été.
Nouveauté récente : quand bientôt même il s’agit d’une procédure simple et orale, l’avocat est désormais obligatoire. Vu l’enjeu possible à ces audiences c’est pas plus mal.

28 dossiers à examiner en une matinée. Petite audience.

Comme d’habitude, les demandes de renvoi sont examinées en premier. Une partie, généralement le défendeur, demande un report de l’audience car il n’est pas prêt.

La demande de renvoi, c’est le côté obscur de la force. Pour le juge, c’est tentant car ça fait ça de moins à juger pour l’audience du jour. Plus rapide, plus facile, mais pas plus efficace : ça fait un dossier de plus à juger à une audience ultérieure.

Ensuite, ce sont les dossiers déposés : les avocats ne plaident pas et déposent leur dossier dans lequel se trouve leur argumentation écrite et les pièces (les preuves) sur lesquels ils s’appuient, et le juge leur donne directement mandate de délibéré. C’est le 30 août.

Beaucoup de plaidoiries dans les dossiers de demande d’expertise pour qu’un expert judiciaire évalue une situation techniquement complexe (un architecte sur des travaux mal faits, un médecin pour un accident médical…) se résument à un « protestations et réserves ! »

C’est une formule qui veut dire : « mon adversaire veut une expertise qui se fera à ses frais avancés, pourquoi pas mais le fait que je ne refuse pas ne veut pas dire que j’admets ma responsabilité. »

Ca proteste bien, ça réserve pas mal, et ça dépose un peu. 10:20, six dossiers passés, aucune plaidoirie pour le moment. Les juges pénaux bavent de jalousie.

Le juge ne se contente pas de distribuer des dates de délibéré : à chaque dossier, il s'assure que la procédure, garante des droits des parties, a été respectée, notamment le principe du contradictoire,

Le principe du contradictoire ça ne veut pas dire qu'il faut plaider une chose et son contraire, mais avoir loyalement communiqué ses arguments et preuves à son adversaire préalablement à l’audience.

Illustration à l’instant. Un bailleur demande l’acquisition de la clause résolutoire, c’est à dire de constater que des loyers sont restés impayés malgré une sommation par huissier. C’est de droit, le juge n’a pas de pouvoir d’appréciation d’où le référé.

Les locataires ne comparaissent pas. Le bailleur dépose son dossier en disant avoir actualisé la créance, les impayés continuant, qui s’élève désormais à 75000 euros. La présidente prévient qu’elle refusera l’actualisation car ce n’est pas contradictoire.

Un demandeur en référé demande un renvoi et ne vient pas à l’audience. C’est pas malin. Les défendeurs, présents, s’opposent au renvoi, puisque c’est le demandeur qui a lancé la procédure il est censé être prêt.

La présidente, agacée que le demandeur n’ait pas pris soin de se faire substituer, retient le dossier sur la base de l’assignation.

10h30, tous les dossiers de renvois et de P&R sont passés. La moitié des dossiers de l’audience ont été traités. Restent les dossiers où ça plaide.

Dossier original en référé : une demande de libération d’une servitude de passage, le fonds n’étant plus enclavé.

Les mékéskidis : https://t.co/gWVcWBhXdm

Un terrain où se trouve une maison habitée n’a pas d’accès à la voie publique. Son propriétaire a le droit de passer, y compris en voiture, sur le terrain de son voisin pour accéder à la rue, avec clés du portail, et ce 24/24 7/7.

Désormais, le terrain enclavé (sans accès à la voie publique) ne l’est plus, il peut accéder à une autre rue sans passer par fonds d’autrui. Le voisin demande la suppression de la servitude.

Le droit, qui aime les termes imagés, utilise un vocabulaire frappant. Ce droit d’un terrain (on dit un fonds avec un s) s’appelle servitude, celui qui en est le créancier le fonds maître, et le débiteur le fonds servant. La disparition de ce droit s’appelle libération

Le droit est attaché au terrain, et en cas de vente, le propriétaire suivant en jouit à son tour. C’est inhabituel en référé car ce sont des questions souvent complexes qui n’ont pas leur place en référé.

Bon, un enclavement est une hypothèse simple. Ça peut passer. Délibéré le 10 septembre.

Point Ciotti : aucun confrère en cravate aujourd’hui. Y compris votre serviteur. 2 août, merde.

Il y a parfois des détails auxquels on devine très vite que les relations entre les avocats des parties sont exécrables. Une demande de condamnation à amende civile et à des dommages-intérêts pour procédure abusive sur une demande d’expertise en fait partie.

Ça se confirme, chaque affirmation d’un avocat est aussitôt interrompue par l’autre. A part l’identité de leurs clients respectifs, ils n’ont l’air d’accord sur rien.

La présidente finit par les rappeler à l’ordre et passe un savon à l’avocat qui s’oppose à une mesure d’expertise sur un chantier où il reconnait que son client est intervenu en la qualifiant d’abusive. Le zèle c’est bien mais là, c’est en effet overkill.

L’avocat s’obstine à contester chaque pièce, chaque facture, en parlant de faux et expliquant la complexité de la situation. Bref, il démontre la nécessité d’une expertise. La présidente l https://t.co/LWOF9CEGpe

Ca y est je suis passé. Les pompiers réaniment la présidente qui s’est pâmée en disant qu’elle n’avait jamais entendu un dossier si bien défendu.

Je suis sorti de la salle d’audience, les confrères se bousculant pour me serrer la main, l’oeil humide, en disant admiratifs « c’est donc ainsi que plaide un Parisien. ».

(Documents non contractuels)

Tue Aug 02 09:42:06 +0000 2022