Tenez, pour la peine, je vous reposte un thread de 2016. Parce que je pense à elle cette nuit. #GuerreCivile
Je vais vous parler de Primitiva López. Mais je l'appellerai comme tout le monde, "Primi".
Primi est née en Espagne, dans la Manche, terre du Quichote, à El Toboso, village natal de Dulcinée, en 1911.
Elle s'est mariée à la fin des années 20 avec un beau Castillan, qui a choisi un métier d'avenir : soldat.
Quand la guerre a éclaté en 1936, son soldat de mari était dans l'armée républicaine. Parce que loyal. Parce que démocrate. Parce qu’un peu à gauche.
Un jour, sur un champ de bataille, elle n’a jamais su lequel ou n’a jamais voulu nous le dire, un soldat fasciste a tiré mieux que lui.
Primi était veuve à 25 ans.
En 1939, la République s'écroule, et commence les années de répression. Primi est dénoncée comme activiste rouge (Bon ok, elle était coupable). Elle est emprisonnée.
Elle passe plusieurs années incarcérée dans la prison d'Ocaña, à Tolède, puis exilée à Valencia, interdite de séjour dans son village natal. Elle travaillera comme domestique pour une famille aisée bien comme il faut. Elle finira gouvernante des enfants.
Primi a renoncé à la politique. Ça lui a tout coûté, et la survie importe plus que tout. Elle a trouvé une bonne place, et sans ça elle serait à la rue, comme des milliers d’Espagnols. https://t.co/GPRSlDRvyC
Finalement, après 10 ans et l’appui de la famille qui l’emploie, elle obtient la levée de son interdiction de séjour. Elle peut revenir à El Toboso.
Là, elle découvre que sa maison familiale est sur le point d'être confisquée par les autorités. C'était mal connaître Primi. Elle va se battre sans relâche pour obtenir la restitution de la maison qui l'a vu naître, qui a vu naître son père, et son grand-père.
Et les autorités franquistes vont céder. cette bicoque ne vaut pas les charrettes d'emmerdes que cette diablesse de femme leur fait.
Mais Primi, veuve et non remariée (veuve de républicain, elle est marquée du sceau de l'infamie, personne ne veut l'épouser), n'en reste pas là.
Franco est mort en 1975, la démocratie est rétablie mais une chape de plomb a été coulée sur les années noires. Pour le bien de tous.
La loi sur les archives ne fut modifiée que dans les années 2000 pour permettre leur accès.
Oui mais Primi, 97 ans, était toujours là.
Elle a demandé à son neveu de faire pour elle les démarches. Elle a dû aller jusqu'au tribunal militaire. Mais celle que les autocrates du franquisme n'avait pas réussi à faire céder n'allait pas abandonner facilement.
Elle l'a su finalement. Le délateur, ou plus probablement la délatrice était déjà au cimetière depuis longtemps. Elle est allé sur cette tombe. Personne ne l’a vue amener des fleurs.
Elle a dû trouver une forme de paix de l'âme puisque Primi a vécu centenaire, seule dans cette maison autrefois si pleine de vie et construite par ses aïeux. Elle y a reçu la visite des enfants des garçons qu’elle avait élevés et qui l’aimaient plus que leur mère.
Parmi eux, sans doute sa préférée, une mésange gazouillante et toujours rieuse qui bien plus tard acceptera de devenir mon épouse. Primi est venue à mon mariage car elle n’aurait manqué ça pour rien au monde et elle m’a embrassé en pleurant.
Primi nous a quitté la nuit du 26 mai 2016, paisiblement, à l'âge de 105 ans.
Je la pleure encore.
Que la terre lui soit légère.
Primi au début de la guerre, elle a environ 25 ans. https://t.co/vuV5tp2RMi
Primi prisonnière à Ocaña, trois ans plus tard. https://t.co/2pJd64QmuO
Primi le jour de ses 100 ans. Elle porte la jolie veste qu’elle avait achetée pour mon mariage ♥️. Elle tenait encore debout, et aurait botté le cul de quiconque aurait tenté de faire passer le pronunciamiento de 1936 pour autre chose que ce qu’il était : un coup d’Etat fasciste. https://t.co/Kp90ipm5y6
No te preocupes, Primi. Todavía estamos aquí, y no los dejaremos falsificar tu historia.
No pasaran.