Mathieu Delahousse

Ambiance de rentrée ce matin au @CSMagistrature où, sous la présidence de Christophe Soulard, comparait le juge Edouard Levrault, magistrat détaché à Monaco jusqu’au 1er septembre 2018. Les poursuites ont engagées par le garde des Sceaux, Éric Dupond Moretti

L’affaire est à tiroirs. À l’origine,
@lobs qui a raconté les difficultés de ce magistrat à Monaco https://www.nouvelobs.com/justice/20191023.OBS20171/exclusif-edouard-levrault-le-juge-qui-accuse-monaco.html qui a ensuite pris la parole dans un documentaire de France 3

C’est à la suite de cette émission que les poursuites ont été lancées par Éric Dupond Moretti devenu garde des sceaux. Et l’affaire, l’un des révélateurs des poursuites pour conflit d’intérêt visant le ministre

https://www.nouvelobs.com/justice/20210113.OBS38771/dupond-moretti-vise-par-une-instruction-ouverte-pour-prise-illegale-d-interets.html #monaco #juges

Ce matin, à l’audience, et à la connaissance pour la première fois devant le CSM, « l’accusation » est bien tenue par la direction des services judiciaires (par le directeur lui-même) mais il ne représente non le ministre de la justice, comme habituellement, mais le premier…

… ministre (en raison du décret de déport qui empêche désormais le garde des sceaux des affaires dans lesquelles il était avocat auparavant).

L’audience démarre vigoureusement puisque, sur les exceptions soulevées, parole est donnée à Me Lhéritier et Saint-Pierre, avocats du magistrat. Ils contestent la saisie du CSM. « EDM va instruire comme ministre la plainte qu’il a déposée comme avocat, c’est gravissime »

Nous raconterons ce soir dans un article dans @lobs la liste des qualificatifs nourris employés par François Saint-Pierre pour décrire l’exercice de sa fonction de garde des Sceaux par Éric Dupond Moretti.

Il faut bien constater qu’après trois quarts d’heure d’audience consacrée au juge Levraut, le nom du magistrat poursuivi a été prononcé à 5 reprises. Celui du garde des Sceaux Éric Dupond Moretti, à 37 reprises au moins.

Deux exceptions de nullités (La saisine du CSM par Jean Castex le 15-09-21 et la saisine de l’inspection générale de la justice par le garde des Sceaux le 31-07-20) sont jointes au fond. Les débats reprennent donc sur la question Monaco et de la prise de parole de Levrault.

Plongée dans la justice de Monaco… Avec une emphase certaine, le rapporteur du CSM raconte l’expérience du juge Levraut en principauté : les affaires entourant Dmitri Yevguénievich Rybolovlev, les plaintes croisées, les personnalités mises en cause…

…et le 22 mai 2018 une ordonnance princière offrant l’immunité pénale a bon nombre de personnalités du Rocher. « Destabilisation, climat de défiance, isolement » du juge d’instruction, cite le rapporteur.

« Je sentais en permanence des blocages, des interventions » a dit Levraut lors de l’inspection. « Je savais que les autorités chercheraient à m’écarter », à t il dit au rapporteur. Il sera en juin 2019 non renouvelé.

Le rapporteur du CSM souligne « un calendrier brutal et un départ d’une grande violence » et souligne la révélation par @obs encore d’une note blanche qui avait alors circulé entre Monaco et la France. Suivent les détails déjà connus de la polémique.

Les qualifications disciplinaires (manquement obligation de devoir de prudence, de réserve et de délicatesse) sont résumés par le rapporteur par « la question essentielle de la liberté d’expression du magistrat » (Jurisprudence du CSM 1994, S160 de 2007, S239 de 2020) et…

… de l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et dû citoyens et arrêts du conseil d’état sur l’expression publique des agents de l’Etat… En 1987, le CSM avait souligné que « l’obligation de réserve ne serait réduire le magistrat au silence ou au conformisme ».

Sourires dans la salle quand on évoque les juges passés par Monaco auparavant qui ont raconté leur expérience et n’ont pas été poursuivis (Jean Christophe H. Où Charles D.)… L’un d’eux avait parlé de « justice @CanadaDry ».
Pause.

Deux magistrats français sont cités comme témoins. Ils ont passé plusieurs années en détachement à Monaco. Ils en ont gardé un souvenir mitigé. L’une d’elle parle des « zones de turbulences » provoquées par les affaires…

« Quelles valeurs qui sont les votres ont été remises en cause », demande Olivier Schrameck, membre du CSM à une magistrate passée en détachement a Monaco. Parlant des enquêtes qu’elle confiait aux services de police de la sûreté, elle affirme qu’ « ils étaient amenés à suivre…

… des objectifs qui n’étaient pas forcément la recherche de la vérité » !

Désormais, le juge Levrault doit parler devant le CSM.
« Pour le magistrat, il n’y a pas d’autre choix que l’indépendance, commence-t-il. À Monaco, j’ai mené la fragilité de l’indépendance ».

Le juge est interrogé sur les conditions de son éviction. Il doit aussi répondre sur les conditions de son entretien avec nous pour @lobs et dans un deuxième temps sur les conditions du tournage de l’émission de France 3 qui avait provoqué la colère de Me Dupond Moretti.

Il raconte que le 6 juillet 2020, lorsque l’avocat est revenu ministre, il « n’imaginait pas une seconde compte tenu de ses déclarations précédentes [comme avocat], le garde des Sceaux mène à bien la vindicte qu’il avait lui-même sollicité auprès de [son] administration au nom…

… de son client ».
« Mon optimisme n’a pas été récompensé. Son opportunisme l’a guidé », dit-il.

Un magistrat membre du CSM en faux candide : « le rapporteur du dossier a fait l’exégèse sur les autres magistrats qui se sont déjà exprimés, dans des propos pouvant être cités comme des manquements à la délicatesse… Pourquoi aucun d’entre eux n’a jamais été poursuivi ? »

À l’issue des débats, le directeur des services judiciaires soutient les poursuites pour absence de prudence et de devoir de réserve, mettant en avant « sa volonté de réhabilitation personne » alors qu’il avait le plein soutien des autorités française. Mais surprise …

…. « Je vous demande de prendre en compte la situation exceptionnelle de Mr Levrault et au nom de Madame la Première ministre [NB : puisque en vertu du décret de déport, c’est Matignon qui conduit désormais cette poursuite disciplinaire] vous demande de retenir les griefs mais…

… dire n’y avoir lieu à sanction ».

Dans sa plaidoirie en défense du juge Levrault, l’avocat Francois Saint-Pierre évoque « ce qu’il a vécu à Monaco » et accuse la principauté de « forfaiture » au sujet de « la note blanche » (évoquée ici https://www.nouvelobs.com/justice/20220421.OBS57423/d-ou-vient-la-note-secrete-sur-edouard-levrault-le-juge-ecarte-de-monaco.html )

L’USM, également pour la Défense du juge, plaide la liberté d’expression et ironise sur deux magistrats français qui s’étaient dit choqués par l’interview du juge Levrault. Selon elle, ces deux magistrats ont depuis démissionné de la magistrature française pour rester à… Monaco.

La décision du CSM sur cette affaire sera rendue le 15 septembre à 14.30 (juste avant une autre audience CSM consacrée elle au PNF le 20 septembre, soit dit en passant)./

Thu Sep 01 09:20:56 +0000 2022