Petit thread sur ce que je pense des relations avocats - magistrats en matière pénale.
La question centrale est à mon avis : quel degré de violence est-il acceptable ?
Il y a quelques jours, j’ai envoyé un mail à un juge d’instruction pour l’informer que j’allais lui adresser 1/
une requête très particulière. Je voulais donc apporter quelques précisions qui ne méritaient pas d’être dans la requête.
Il me répond poliment que c’est en effet la première fois qu’il aura à statuer sur ce genre de requête. Tout allait donc bien mais… 2/
… il croit nécessaire d’ajouter une phrase pour m’humilier en mode « je sais ouvrir un code blablabla » (évidemment c’est pas dans le code). Je ne le connais pas mais cela ne m’a pas surpris qu’il n’envisage pas de terminer un mail à un avocat sans un petit mot de mépris. 3/
L’inverse est également fréquent donc je ne peux même pas lui en vouloir. Mais c’est de la violence inutile. Si nous étions collègues dans une boîte, ce serait inacceptable. Or, sans être véritablement collègues, j’interviens uniquement comme professionnel du droit 4/
Je ne suis pas prévenu, on ne me reproche aucune infraction donc il n’y a pas la moindre raison que je me fasse engueuler ou humilier en audience par exemple. Pourtant nous sommes élevés comme ça. D’ailleurs, le juge problématique dont on parle en ce moment le montre. 5/
Il éduque les jeunes avocats à intégrer que l’humiliation et le mépris des avocats font partie du métier. Et le choix n’est plus que de rendre cette violence ou de l’encaisser. Si des spécialistes des risques psycho-sociaux nous analysaient, ils se croiraient au moyen âge 6/
Je l’ai moi-même appris puisque lors de ma première audience il y a très longtemps, un procureur m’a engueulé parce que ma patronne avait osé laisser son numéro à son secrétariat dans l’hypothèse où il voudrait la rappeler. Le scandale. 7/
C’était manifestement à la limite de l’outrage de supposer qu’il soit possible qu’un parquetier rappelle un avocat à un moment où il serait disponible. Je me suis confondu en excuses, ce que je regrette encore 8/
D’un autre côté, nos intérêts sont tellement antagonistes et les conflits que nous traitons tellement violents que les audiences ne seront jamais de longs fleuves tranquilles. Cette violence résiduelle et maîtrisée est nécessaire et nous l’aimons. 9/
La solution nous la connaissons, c’est de multiplier les rencontres et les échanges, y compris informels, pour éviter de partir du principe que l’autre est un con. Ce n’est pas une perte de temps, au contraire, et c’est ma dernière anecdote… 10/
J’avais demandé oralement un juge d’instruction s’il accepterait que mon client sous CJ déménage. J’ai son feu vert et mon client trouve un nouvel appartement. Je fais la demande de modification de CJ et là : refus ! Je suis furieux, j’appelle le juge. 11/
Il me dit qu’il avait oublié qu’il m’avait donné son accord et me demande de refaire la demande, qu’il accepte immédiatement. Si ce jour là il avait refusé de me parler parce qu’on n’a pas le temps de parler aux avocats, que se serait-il passé ? 12/
J’aurais fait appel, je serais allé inutilement déranger trois juges de chambre de l’instruction et un avocat général, mon client m’aurait trouvé incompétent, j’aurais haï ce juge malhonnête qui me fait perdre mon temps. Il a décroché, en trois minutes c’était réglé. 13/
Bref, acceptons le degré de violence indispensable pour que chacun fasse correctement son métier et défende les intérêts qu’il doit défendre mais refusons tout ce que des collègues n’accepteraient pas entre eux. 14/
Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Voilà, sur ce, j’espère que Twitter va disparaître. 15/