Complément du fil d'hier 🧵
Je suis allĂ© voir l'entretien de PĂo Moa au Figaro Histoire, qui confirme bien une rĂ©Ă©criture faussaire de l'histoire.
Je vais revenir sur les points que je maîtrise le mieux.
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https://t.co/YKb8DSp6iD
Tout d'abord, soulignons que PĂo Moa est adroit. Il avance des Ă©lĂ©ments vĂ©rifiĂ©s et admis dès lors que ces Ă©lĂ©ments vont dans le sens de son discours. C'est le cas au sujet de la persĂ©cution religieuse qui touche de nombreux catholiques Ă l'arrière rĂ©publicain pendant la guerre. https://t.co/l7fCzS4N9e
Le chiffre avancé est proche du chiffre communément admis par l'historiographie espagnole : environ 6800 religieux sont exécutés pendant la guerre civile, soit 13,5 % des 50 000 victimes des violences républicaines.
C'est la catégorie la plus ciblée, ce qui conduit certains historiens à parler effectivement de persécution religieuse. D'autant plus que les tortures et les traitements cruels leur sont presque exclusivement réservés.
A ce sujet, voir notamment les travaux de José Luis Ledesma et de Fernando del Rey, spécialistes des violences révolutionnaires à l'arrière républicain :
https://www.academia.edu/73017117/The_Enemy_par_excellence_Anticlerical_Violence_in_the_Spanish_Civil_War_1936_39_ https://t.co/8me4prwDJD
En revanche, il nie l'ampleur des violences franquistes, qui n'auraient causées que 69 000 victimes durant la guerre et l'après-guerre. Ses affirmations ne sont pas sourcées, en dehors de la répression après-guerre. https://t.co/HfT05bxiJw
En réalité, on estime que 120 000 à 150 000 personnes sont victimes de la terreur franquiste durant la guerre civile, dont près des 2/3 sont exécutés entre juillet 1936 et décembre 1936. Ces exécutions sont en grande majorité sommaires et extra-judiciaires.
L'historien Javier Rodrigo établit ainsi que seules 27 des 3000 victimes des franquistes à Saragosse sont exécutées à l'issue d'un procès (dans son livre "Hasta la Raiz, p. 67).
En insistant sur les jugements d'après-guerre, Moa dissimule ainsi toute la dimension arbitraire et extra-judiciaire de la répression franquiste.
Quant aux jugements qu'il mentionne, il omet de préciser qu'ils sont expéditifs et arbitraires, prononcés par des tribunaux militaires qui n'offrent aucune garantie.
Cette manipulation lui permet alors de développer un argumentaire visant à présenter le camp républicain comme auteur de cruautés sans nom quand les franquistes n'auraient fait que rétablir l'ordre.
Il ne fait ici que reproduire ce que la propagande franquiste a martelé depuis le début de la guerre civile, de façon à dissimuler et légitimer la terreur que les militaires insurgés font régner dans les territoires dont ils s'emparent.
Mais Moa ne s'arrête pas là dans la négation des crimes franquistes. Selon lui, le massacre de Badajoz à partir du 14 août 1936 ne serait qu'une invention et n'aurait jamais existé. Négationnisme pur. https://t.co/XJ6752uT5u
Le massacre est documenté et des images existent, captées par le journaliste français René Brut pour le Pathé Journal : https://www.britishpathe.com/workspaces/show/5b02318534d1e242ab413023f5f9b183/x4yEaqOU/full
La publication de photogrammes de ce film dans l'Intransigeant vaut à Brut d'être arrêté par le responsable de la propagande franquiste, Luis Bolin. Il n'est libéré et expulsé d'Espagne que sur intervention du consul français à Séville, non sans avoir remis les pellicules.
A partir de ce moment, les franquistes font tout pour empêcher les correspondants étrangers d'accéder aux villes dont ils s'emparent durant les premiers jours, afin d'éviter que de nouveaux massacres soient documentés.
A ce sujet, voir notamment le livre de Luis Castro et les travaux d'Hugo Garcia. https://t.co/iLZB8gDbpY
Il est d'ailleurs triste de voir Le Figaro promouvoir ces propos, quand le massacre de Badajoz a conduit l'un de ses auteurs les plus connus, François Mauriac, à prendre certaines distances avec les franquistes dès août 1936.
Guernica n'Ă©chappe pas non plus Ă l'entreprise falsificatrice de Moa. https://t.co/al82mOeprF
Il est indéniable que les soutiens de la cause républicaine (que ne sont d'ailleurs pas les conservateurs britanniques) se sont emparés de ce bombardement pour essayer de mobiliser l'opinion publique des démocraties libérales. Mais ça n'enlève rien à la réalité du bombardement.
Les souvenirs du consul français à Bilbao, René Castéran, rédigés en décembre 1937, sont à ce titre éclairant : https://t.co/CEsUXlxlVy
Castéran n'est pourtant pas favorable aux républicains, loin de là . Hostile à la gauche espagnole, marqué par les mobilisations sociales du printemps 1936 et par les violences révolutionnaires au début de la guerre civile, il est plutôt favorable à l'insurrection franquiste.
Ce qui lui vaut, après la prise de Bilbao en juin 1937, de rester à son poste, et même de rester en Espagne après la guerre civile espagnole, au consulat général de France à Barcelone.
Bref, je m'arrête ici. J'espère que ces quelques éléments suffiront à montrer l'ampleur de l'entreprise de falsification entreprise par Moa et relayée par Le Figaro.