Nicolas Legendre

1/ Le saviez-vous :
Je suis un journaliste « à scandale », adepte du complotisme et de la post-vérité.
Je veux la fin de l'agriculture bretonne.
Je suis mû dans ma mission par des « motivations personnelles » inavouées.
Si, si.
LONG THREAD⤵️⤵️⤵️

2/ Des sources au sein d’instances bretonnes m’ont transmis un document à usage interne dont le contenu est fort intéressant.
Ou comment un lobby agro-industriel œuvre (en sous-main) pour discréditer et dénigrer des journalistes qui enquêtent sur l’agro-industrie (dont moi).

3/ Le document en question est une «note d’analyse» datée d’avril 2023.
Elle a été réalisée peu après la publication par @lemondefr de ma série d’articles intitulée «En Bretagne, la face cachée de l’agrobusiness» et quelque temps avant la parution de «Silence dans les champs».

4/ Cette « note d’analyse » m’a été transmise de façon confidentielle dès le mois d’avril, mais je n’avais pas souhaité la rendre publique jusqu’à lors.

Certains éléments (que je vais détailler ici) m’ont décidé à franchir le pas.

5/ Quand je l’ai lu cette « note » pour la première fois, je me suis cru dans Las Vegas Parano.
J’avais l’impression d’avancer dans un vortex rempli de moquettes ondulantes et de lézards à trois têtes.

6/ Le titre de cette « note » est sans équivoque :
« Pour Nicolas Legendre, peu importe la réalité pourvu qu’il y ait l’audience. »
Le reste est à l’avenant.
Le document arbore le logo de l’association @leszhomnivores .
Penchons-nous d’abord sur cette dernière… https://t.co/ieEUddaVww

7/ Créée en 2017 suite à la recrudescence d’actions antispécistes (intrusions dans des élevages, etc.), l’association Les Zhomnivores revendique de contribuer à un « débat ouvert sur nos modèles alimentaires » afin de « permettre à chacun de se nourrir librement ».

8/ Dans les faits, Les Zhomnivores constitue un outil de contre-offensive communicationnelle visant à défendre l’élevage et la consommation de viande. Cela, en soi, n’est absolument pas problématique. Si ce n’est que ce lobby… ne se définit jamais vraiment comme tel.

9/ Le site internet de l’association ne fait aucune mention de ses financeurs, ni de ses fondateurs, encore moins de ses membres.
Une recherche rapide permet néanmoins d’identifier les entités à l’origine de sa création :

10/ il s’agit de l’antenne bretonne de l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev Bretagne), de l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne (UGPVB), de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires (ABEA)...

11/ du réseau Produit en Bretagne et de l’association Agriculteurs de Bretagne. https://t.co/KqLqD35oPd

12/ Renseignement pris auprès de la préfecture, la trésorière de l’association est Marie Kieffer, déléguée générale de l’Association Bretonne des Entreprises Agroalimentaires ;

13/ le président est Rémi Cristoforetti, directeur général de la coopérative @LeGouessant ;
le secrétaire est Jacques Crolais, directeur de l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne et ex-conseiller parlementaire du député breton (LR) @marclefur.

14/ Notons que, dans ses statuts, l’association se définit comme « un espace de réflexion libre de toute contrainte politique et économique »…

15/ En 2023, des représentants de l’association Les Zhomnivores ont été auditionnés par le Sénat dans le cadre d’un rapport d'information sur les aliments cellulaires. https://t.co/nMVPomm0c4

16/ A cette occasion, il a été indiqué que le « fondateur » des Zhomnivores était le susnommé Jacques Crolais et que le directeur délégué de l’association était Hervé Le Prince.

17/ Hervé Le Prince est un personnage central dans l’histoire qui nous intéresse…
Expert de la « communication stratégique », ce monsieur dirige l’agence de communication rennaise Newsens. Parmi ses clients figurent bon nombre de poids lourds bretons de l’agro-industrie.

18/ M. Le Prince a notamment « pris en charge l’accompagnement stratégique » de l’association @agriculteursBzh , lobby agro-industriel dont la genèse est longuement évoquée dans « Silence dans les champs ».

19/ Résumons. Agriculteurs de Bretagne, association pour laquelle M. Le Prince officie en tant que prestataire, fait partie des entités fondatrices de l’association Les Zhomnivores, dont M. Le Prince est le directeur délégué.

20/ Très actif sur Twitter, M. Le Prince se montre souvent virulent à l’égard du « véganisme », des écologistes « radicalisés » et de certains médias « de désinformation » (comme @Reporterre, selon lui). https://t.co/vKdaiZ9Y2q

21/ Passons à la fameuse « note d’analyse », qui occupe six pages dactylographiées.
Ce document n’a jamais été rendu public.
A l’évidence, il n’avait pas vocation à « s’échapper » de certains ordinateurs. https://t.co/4UcEQDppUp

22/ L’auteur (non identifié) commence par dérouler ma biographie.
Il (ou elle) évoque ensuite le « système Léraud ».
Une référence à ma confrère @ileraud, connue pour ses enquêtes sur l’agro-industrie bretonne en général et les algues vertes en particulier.

23/ Selon l’auteur, @ileraud serait, pour moi comme pour d’autres journalistes, une sorte de gourou (j’interprète).
Nos travaux journalistiques constitueraient, d’une certaine façon, autant d’offrandes à notre Très Sainte Prêtresse de l’investigation. https://t.co/Aqv42A05LN

24/ Notre objectif commun, selon l’auteur, serait d’«installer l’idée» qu’il existe, en Bretagne, un «cabinet noir» de l’agrobusiness.

25/ Qu’importe si j’ai écrit et ne cesse de dire publiquement qu’il n’existe pas à proprement parler, à ma connaissance, d’« officine obscure » de l’agro-industrie dont les membres tireraient des ficelles dans l’ombre.

26 / Qu’importe si j’ai décrit une réalité plus complexe, plus « gazeuse »...

27/ L’important, pour l’auteur de cette note, semble être de persuader ses destinataires que moi et d’autres journalistes nourrissons une théorie du complot qui ne dit pas son nom.
Alimenter cette théorie du complot serait même mon «but non-avoué».
C’est tordu ? Chacun jugera. https://t.co/DajJMgSLLI

28/ L'auteur me reproche d'utiliser fréquemment le conditionnel. Ce qui est vrai !
J’emploie le conditionnel à de multiples reprises dans le livre (de même que le présent de l’indicatif)...

29/ précisément car, en l’absence de preuves irréfutables permettant d’étayer certains témoignages, je souhaite demeurer prudent.

30/ Mais j’indique par ailleurs que l’accumulation de témoignages (comme dans les affaires de violences faites aux femmes) peut et doit avoir valeur d’alerte.
Notons que je dispose, pour certains des faits évoqués, d’éléments matériels irréfutables.

31/ NB : j’ai encore recueilli, pas plus tard qu’hier, un témoignage tellement édifiant qu’il aurait mérité un chapitre entier dans « Silence dans les champs ».

32/ Qu’importe : pour l’auteur(e), je « laisse courir un imaginaire fictionnel pernicieux » et je m’affranchis «des règles de déontologie du journalisme».

33/ Les bases sont posées. Moi et d’autres confrères participerions à nourrir une « idée complotiste » qui serait relayée notamment par des journalistes (attention, pirouette) « passés par le département Info-Com de l’IUT de Lannion ».

34/ L'@IUTlannion se serait fait «une spécialité» de former «une jeune génération de journalistes indignés». https://t.co/oJXxDS24yT

35/ Je tiens à préciser que ma formation de «journaliste indigné» m’a été dispensée par les enseignants de l’école de journalisme de Tours @EPJTours (que je salue !) et non par ceux de Lannion.

36/ L’auteur de la note n’y va pas par quatre chemins : « Nous sommes face à un pseudo-journalisme breton tellement caricatural que l’on pourrait le qualifier de "presse à scandale régionale". »

37/ La « presse à scandale » en vrai, ce sont des ragots et rumeurs sur la vie privée de célébrités, des titres racoleurs, des textes généralement courts, un traitement sensationnaliste de l’actualité et une absence de mise en perspective.

38/ Je pense avoir fait précisément l’inverse dans mes enquêtes pour @lemondefr comme dans « Silence dans les champs ».

39/ Cela dit, si mettre en perspective les « scandales » de la vache folle, des poulets gonflés à l’eau, de la contamination de l’eau potable par des pesticides, des proliférations d’algues vertes, des salariés de coopératives intoxiqués par des pesticides…

40/ …des déversements accidentels de lisier dans des cours d’eau, de la pollution à l’ammoniac, des conditions de travail indignes d'ouvriers de l’agroalimentaire… constitue du journalisme « à scandale », alors je veux bien être considéré comme un journaliste « à scandale ».

41/ Comme si le « complotisme » et le « scandale » ne me suffisaient pas, j’aurais également frayé dans les eaux saumâtres de la « post-vérité ». https://t.co/QgYXakmWLp

42/ Pour l’auteur de la note, je me suis contenté d’aller chercher des déçus du système (pensez-vous, il y en a forcément, dans un secteur qui emploie plusieurs centaines de milliers de personnes en Bretagne !).

43/ J’aurais compilé ces témoignages au mépris de la vérité.
J’aurais délibérément omis de dire que tout ne va pas si mal dans le monde merveilleux de l’agro-industrie.

44/ J’ai déjà répondu publiquement à ce genre d’arguments...

45/ Notamment (hasard ou coïncidence) en mai dernier, lors d’un débat télévisé organisé par @france3Bretagne durant lequel j’avais pour contradicteur… le directeur délégué de l’association Les Zhomnivores (Hervé Le Prince, donc).

46/ Ce jour-là, Hervé Le Prince était venu sur le plateau avec un sac de perles.
https://www.france.tv/france-3/bretagne/dimanche-en-politique-bretagne/4938673-agrobusiness.html

47/ Reste à savoir POURQUOI je me délecte ainsi du « scandale » et POURQUOI j’aime tant me rouler dans les bauges de la « post-vérité ».

48/ Selon l’auteur, des « motivations personnelles » seraient à l’origine de ma « croisade ».
Motivations que l’auteur ne détaille pas, hélas.
Il choisit de laisser planer le doute (et/ou d’inciter ses destinataires à identifier eux-mêmes ces «motivations personnelles»).

49/ Bilan des courses : je chercherais « à exister » et «à [me] faire un nom dans les médias». https://t.co/iHN3J87ZAr

50/ La messe est dite : Legendre, en mal de notoriété, s’est fardé sept ans de travail dont deux à temps plein, a effectué près de 300 entretiens aux quatre coins de la Bretagne, a compulsé plusieurs centaines d’ouvrages et de documents universitaire...

51/ ...a avalé de la statistique agricole par palettes, s’est tapé des nuits blanches en série… parce qu’il avait besoin d’« exister ».

52/ Notons qu’un argument du même ordre a été utilisé récemment par Hervé Le Prince, délégué général de l’association Les Zhomnivores, dans un tweet me concernant. https://t.co/jaB7lUd1xr

53/ M. Le Prince, que je n’ai pas sollicité en vue d’effectuer une psychanalyse, livrait son diagnostic : «A l’aune de son vécu agricole (ferme familiale de 25 vaches/[30] hectares), [Legendre] se purge d’une histoire familiale comme le fait Léraud avec les algues vertes.»

54/ Dans ce contexte, aucun doute possible : mon objectif personnel (forcément inavoué) serait « la fin de l’agriculture et de la production alimentaire en Bretagne ». Rien que ça !
Le tout, « sans jamais rien proposer comme alternative ». https://t.co/BJEv83VnZl

55/ Dois-je préciser qu’une part importante de «Silence dans les champs» est consacrée à la mise en lumière de démarches agronomiques et économiques alternatives, susceptibles d’assurer, justement, la perpétuation de la production agricole en Bretagne ?

56/ Dois-je ajouter que je ne cesse, depuis deux mois, d’apporter des réponses aux questions qui me sont posées concernant les solutions possibles aux impasses actuelles ?

57/ Selon l’auteur(e), j’aurais « oublié » de dire que « la modernisation de l’agriculture et de la production alimentaire a été une avancée considérable pour le territoire breton et ses habitants ». https://t.co/YqMVDipk1z

58/ Décidément mal avisé, l’auteur(e) « oublie » que je n’ai pas « oublié » cet aspect.
Au contraire : je l’ai longuement détaillé et mis en perspective – en essayant autant que possible de le démythifier.
L’approche historique occupe près du tiers de «Silence dans les champs».

59/ La barque est pleine ?
Non.
Il manque… la référence au Moyen Age.
Voici l’idée développée par l’auteur(e) :

60/
1) Avant la révolution agricole des années 1960, la Bretagne en était restée « au Moyen Age » (d’un point de vue économique, politique et agronomique, une telle affirmation est au minimum inexacte, mais passons).

61/
2) C’est grâce à cette « révolution » que la Bretagne est sortie des temps obscurs.

63/
3) Mettre en lumière les impasses de l’agro-industrie = remettre en cause ce grand bon en avant = vouloir renvoyer la Bretagne au Moyen Age.

64/ Gérard Majax n’en croirait pas ses yeux.

65/ Je connais bien cette rhétorique. Elle est fréquemment utilisée, en Bretagne, par les tenants du productivisme agro-industriel, comme je l’explique dans « Silence dans les champs ».

66/ Thierry Coué, président de la @FRSEA_Bretagne, a eu recours à ce type d’argument lorsqu’une journaliste de l’hebdomadaire @7JoursRedac lui a demandé son avis sur mon livre :

67/ « Nicolas Legendre nie une réalité plurielle qui dépend du territoire. Il dénonce le remembrement, mais cette réorganisation a permis aux exploitants de sortir du Moyen Âge. »
https://www.7jours.fr/actualites/agro-industrie-les-reactions-a-lenquete-de-nicolas-legendre/

68/ Voilà.
Si j’ai longtemps hésité avant de rendre ce document public, c’est notamment parce que je ne voulais pas donner l’impression de surenchérir en glosant à son sujet.

69/ Mais le dernier tweet d'Hervé Le Prince concernant mon "histoire familiale" m'a fait penser que le "trip" avait assez duré.

70/ Je me suis aussi dit que le contenu de cette note pourrait servir de support à des journalistes ou à des universitaires travaillant sur la « fabrique du doute » et autres procédés destinés à manipuler l’opinion.

71/ Je terminerai en indiquant qu’au moins deux des entités à l’origine de l’association @leszhomnivores (@produitenbzh et @agriculteursBzh) perçoivent directement ou indirectement des financements publics pour leur fonctionnement.

72/ Merci de m'avoir lu.

Fri Jul 07 11:06:35 +0000 2023