Avec les nouvelles propositions du Parlement Européen sur les cryptos, j’en viens à me demander sérieusement si on n’a pas collectivement oublié les valeurs que l’on est censé défendre en Europe.
D'abord un préambule : pour tous les "Si tu n'as rien à te reprocher, alors tu n'as rien à cacher", je redirige vers cet article d'Amnesty International : https://t.co/xped35LhLC
Pour tous les "L'anonymat c'est mal", je redirige vers mon propre article : https://t.co/6FlJ5yWzvZ
Ceci étant dit, passons aux choses sérieuses. La représentante de la nation qui refuse de discuter a encore sévi.
Quelques éléments de contexte d'abord, puisqu'entre MiCA, le régime pilote, la bureaucratie européenne etc. on peut s'y perdre facilement.
La commission européenne a inclus dans son package AML une révision du "Transfer of Funds Regulation", qui en gros va obliger les PSAN à se partager les informations personnelles de leurs clients lors des transferts de fonds. La fameuse "Travel Rule".
Proposition de la @UEFrance
https://t.co/RlSpKwnbEj
Projet de rapport du @Europarl_FR https://t.co/GVc1Y2J09x
Le parlement va voter Jeudi le compromis
Mais avant d'évoquer en quoi ce texte est problématique, relevons les habituelles incohérences et lieux communs non-sourcés
Par exemple, l'exposé des motifs commence par noter que le règlement en discussion vient combler une lacune, à savoir le fait que seuls "les billets de banque et les pièces, la monnaie scripturale et la monnaie électronique" sont concernés. https://t.co/YvfPO7Vgx1
Nouveau numéro de contorsionniste donc de la part de l'UE : BITCOIN N'EST PAS UNE MONNAIE, mais bon, quand même, on le range au même endroit que les billets, les pièces, et la monnaie de banque. MAIS PAS UNE MONNAIE ! namého !
Contorsion confirmée d'ailleurs plus loin dans le texte (Article 2, §1) : "quelque monnaie que ce soit, ou crypto-actifs".
C'est marrant quand même : Bitcoin n'est pas une monnaie, mais tous les textes de lois qui le concernent ne s'appliquent habituellement qu'aux monnaies ! https://t.co/KkK2HOzONT
Sur la même image (que je remets ici) vous avez le classique "les cryptos facilitent les activités criminelles et le blanchiment" : je vais encore m'évertuer à demander la source de ces affirmations, mais je sais que c'est vain.
En effet, l'ensemble des institutions réputées et compétentes disent l'inverse. Chainalysis ou le FBI via son Directeur Wray, qui mentionnait que ses services s'étaient équipés et entrainés, et que les saisies récentes le confirmaient (Bitfinex hack).
https://t.co/OSFgc1q5n9
J'ai quand même cherché à identifier la source originale, et une indication est donnée dans le paragraphe sur la "Proportionnalité"
Dans ce §, @UEFrance nous dit que selon l'avis conjoint des autorités de surveillance, les risques liés aux cryptos ont été PRECISEMENT identifiés https://t.co/drY30pga90
Dans l'avis en question, on voit 2 choses : la 1ere c'est que cet avis est basé en réalité sur un autre avis (sic) de l'Autorité Bancaire Européenne (dont la mission est de garantir que les banques fonctionnent bien), DATANT DE 2014, qui recommande de ne pas toucher aux cryptos.
La deuxième chose que l'on voit, c'est qu'une des raisons principales qui font les cryptos seraient "risquées", c'est qu'en réalité... les autorités ne disposent pas de la connaissance et compréhension POUR DETERMINER SI C'EST RISQUÉ
Conclusion de tout cela selon la Commission : tout ce règlement est parfaitement proportionné ! C'est intéressant quand même parce que le principe de proportionnalité exige d'équilibrer les moyens et les objectifs. En gros, évitons de planter un clou avec un marteau piqueur.
On a donc là un objectif (réduire les risques) qui n'est même pas défini, puisque la base date d'il y a près de 10 ans et conclut qu'on n'en sait rien. Et on met en face des moyens (restrictions) supérieurs à ce qui passe dans l'industrie financière. PRO-POR-TIO-NNEL ON VOUS DIT!
Bref il n'existe aucune source pour créditer les fameux risques substantiels de financement d'activités illicites, affirmation très grave qui conduit à restreindre la liberté financière de 500 M de personnes. L'EUROPE SE BASE SUR DES RUMEURS POUR REGLEMENTER, ALLÔ ?
Passons aux faits.
Il y a plusieurs choses TRES problématiques, et en particulier liées à ce nouveau concept introduit : les portefeuille non-hébergés, aka "une adresse de registre distribué non reliée à un prestataire de services sur crypto-actifs". Un portefeuille perso quoi
Donc arrêtons la novlangue et appelons ça "portefeuille"
3 exigences inquiétantes ressortent : d'abord la nécessité pour les PSAN de transmettre les infos perso de toute transaction provenant d'un portefeuille. Sans seuil minimal. TOUTE TRANSACTION.
Vie privée? Connais pas https://t.co/O85cGwscuA
C'est quand même formidable ce double standard.
Les cryptos permettent moins de flux illicites que le système financier traditionnel, mais vont donc être soumises (via les PSAN) à des contrôles plus stricts.
Ensuite la nécessité pour les PSAN de signaler aux autorités tout transfert supérieur à 1 000€ provenant d'un portefeuille. Suspect ou non.
Aucune surveillance rassurez-vous🤡
En réalité, ce que ça signifie, c'est que si vous gérez votre argent, vous êtes suspect. C'est grave. https://t.co/O8X9LXjJze
Bonus Lalucq, qui n'est pas effrayée à l'idée de priver 500 M de personnes de leur liberté financière sur la base de rumeurs non sourcées : les portefeuilles sont susceptibles d'être tout simplement interdits.
On est sur un niveau de délire liberticide qui dépasse l'entendement https://t.co/FE7XO0DmQd
Enfin, la nécessité pour les PSAN non seulement de collecter, mais de vérifier les informations personnelles concernant les portefeuilles.
On ne sait pas comment. Et la conséquence probable sera que les PSAN ne voudront plus opérer avec des portefeuilles.
Après, je ne vous cache pas que, comme certains amendements introduisent l'obligation de "reprendre" des cryptos aux clients, ce qui est techniquement impossible puisque les transactions crypto sont finales, la faisabilité n'est pas le critère premier des députés. https://t.co/DPO35zFziI
Comme le dit @ctoLarsson, la conséquence pratique du texte est l'obligation de passer par un intermédiaire pour gérer son argent.
Ce serait comme :
- forcer l'usage de la Poste plutôt que de l'email
- forcer l'usage de l'imprimerie plutôt que du www
Avec à chaque fois l'emballage dans des bons sentiments :
- les criminels peuvent s'envoyer des messages chiffrés par email ! 😱😱
- Internet n'a pas de responsable légal de publication ! 😱😱
Et maintenant : les criminels utilisent Bitcoin !
Donc revenons à mon point de départ : quelles sont les valeurs défendues en Europe ? De mémoire, la liberté, entre autres.
On a fait tomber les frontières et les douanes pour permettre les sacro-saintes libertés de mouvement, de biens et de personnes, de capitaux.
Alors dites-moi : l'obligation de transmettre ses infos perso dans des pots de miel géants pour hackers, pour TOUTE transaction, de se voir vérifier ces infos, voire d'interdire les portefeuilles, EN QUOI n'est ce pas une rupture totale de la liberté financière des citoyens UE ?
Je n'ai jamais signé pour ça. Les Fr n'ont d'ailleurs jamais signé tout court. L'Europe dont j'ai rêvé jeune est devenue une machine à sortir de l'Histoire. Le Lundi on est censé se battre pour la Liberté, et le Jeudi on interdit de détenir son argent ? De qui se moque-t-on ?
A quoi ça sert d'avoir la réglementation la plus stricte du monde si c'est pour n'avoir personne sur qui l'appliquer ? La loi PACTE n'a-t-elle pas déjà montré ses limites ?
Combien de Français passent par un PSAN ? Combien d'entreprises étrangères se pavanent en France illégalement sans aucune conséquence ? Combien de comptes bancaires fermés même après obtention du label ?
Assez ! Nous avons raté Internet, et sommes devenus des vassaux numériques. Nous avons raté Coinbase pour cette nouvelle vague d'innovation, déjà concurrent direct des banques. Et on continue de creuser ?
L'Europe n'arrêtera pas Bitcoin. Faites-en le deuil rapidement. La seule chose que l'Europe peut arrêter, c'est elle-même. Alors focalisons-nous sur comment l'utiliser au mieux plutôt que de resserrer toujours plus nos œillères pour ne pas le voir.
Bonus : lisez les amendements en remplaçant "portefeuille non hébergé" par son équivalent physique, à savoir un bête portefeuille et l'argent liquide, et vous réaliserez le niveau de délire. Vous n'auriez plus le droit, avec Mme Lalucq, de détenir un portefeuille sur vous