Bon écoutez, il est temps de parler de ce qui ne va pas dans le système de remplacement annoncé des professeurs : il a déjà été tenté et il existe. Cela s’appelle le RCD (remplacement courte durée) et il a été créé sous le ministre De Robien (2005), modifié sous Chatel (2010). 1/
L’idée d’assurer des heures de cours perdues par d’autres disciplines, par enseignants disponibles, etc. n’est pas nouvelle. Votre collègue de Maths tombe malade ? Génial Monsieur Dupont, en échange de 41 euros - 59 euros brut, voulez-vous bien faire histoire-géo à la 6e 3 ? 2/
En théorie, tout cela est géré par un protocole de remplacement organisé en local. Le système voulait répondre aux absences de moins de 15 jours, impossibles à couvrir le plus souvent. Il est très peu appliqué, parce que tout simplement impossible à généraliser. 3/
Pourquoi ? Parce que le RCD ne prend pas en compte la diversité des établissements. Quand vous êtes 2 sur la même discipline (langues), quand votre collègue est malade, il y a 90% de chance que votre autre collègue soit en cours, etc. 4/
De plus, on n’a pas la même progression. Non nous ne suivons pas un cahier d’activité tout fait donné par le ministère (spoiler : il n’existe pas). Donc à part prendre une classe et faire du soutien, il n’y a pas grand chose à faire. 5/
Alors pourquoi ne pas faire remplacer par une autre discipline comme l’a dit le Ministre ce matin ? C’est possible mais là encore, il faut qu’il y ait un prof de la classe dispo. Et c’est compliqué. On ne peut annuler un cours en 2nde 2 pour permettre un remplacement en Term 14.
Surtout cette idée en elle-même ne tient pas compte de la problématique de tous les enseignants/personnels : planifier. Nous sommes un métier de planification pour tenter de pallier 32 paramètres d’incertitude en classe (la concentration, les présents, les imprévus nombreux). 7/
Tout enseignant vous le dira : avoir une visibilité sur 3 jours c’est bien, sur la semaine c’est le luxe. Parce que nous sommes un métier où des tas de couil*es (pardon my french) nous tombent dessus : rapports d’incidents, réunions urgentes, aller voir untel. 8/
Alors sincèrement, rajouter un remplacement au pied levé pour rajouter de la surprise à la surprise, c’est ne pas comprendre les conditions d’exercice du métier. Et je ne parle que du 2nd degré, dans le 1er degré c’est pire parce qu’il faut gérer sa classe en même temps. 9/
Mesure et équilibre, le RCD ça marche parfois mais pas ce pour quoi il a été créé. Le RCD ça marche sur du prévisible. Tu es absent pour formation, c’est facile de trouver un collègue pour surveiller un DS / avancer et limiter l’impact. 10/
Il y a une heure de trou dans l’EDT d’une classe, tu peux rattraper une heure perdue par une sortie scolaire et ça t’arrange (classe à examen etc.), c’est l’auto-remplacement. Ça marche moyen mais parfois ça peut aider. Le système n’avait pas été créé pour ça mais bon. 11/
Mais ça c’était avant comme dirait Michel. Quand j’étais jeune, j’ai pu faire 16h de cours d’histoire-géo en plus avec une Terminale S au programme infaisable. Les vrais s’en souviennent. Aujourd’hui c’est impossible. 12/
Au lycée les groupes de langues comptent plusieurs classes aux EDT différents. Même chose en spécialité. Aujourd’hui toute heure de cours perdue en spécialité est très rarement rattrapable. 13/
Aujourd’hui le RCD c’est : toujours pas de remplaçant en techno / maths pour M. Truc depuis 3 mois ? Ben on va limiter la casse et demander à M. Bidule de bien vouloir faire 1h par ci par là en modifiant les emplois du temps. Le RCD pansement sur jambe de bois. 14/
Bref, nous n’avons pas le système d’emploi du temps, les personnels, le vivier, les moyens et les conditions pour créer un remplacement de courte durée. Il a déjà échoué. Il produira les mêmes effets avec le pacte. 15/
Croire qu’avoir 5%, 10%, 30% d’enseignants volontaires (et personnellement j’y crois peu) va lever les obstacles techniques déjà observés depuis 17 ans avec le système RCD De Robien, c’est ne prendre aucun retour d’expérience de sa propre administration, à la base. 15/
L’incitation financière n’est pas tout. Surtout le Ministère a l’air de croire que ça nous laisse indifférent de perdre des heures. Ben non en fait. Et c’est là le problème. Parce que nous sommes en première ligne pour mesurer le casse-tête que ça va être derrière. 16/
Enfin, mettre le remplacement comme une sorte de contrainte à d’autres « missions » radicalement différentes, c’est d’emblée faire de ce « pacte enseignant » un pacte léonin. Je ne crois pas à son aspect « à la carte ». 17/
Je suis professeur principal, je suis responsable d’une classe à projet. Si on me demande de signer le pacte pour continuer ces charges (parce que c’est lourd à porter, ce n’est pas une mission), mon administration devra trouver un autre trouffion pour faire ce taf. 18/
Le système du pacte est voué à l’échec parce qu’il repose sur un constat erroné depuis le départ. Nous savons d’avance qu’on mettra ça sur notre « mauvaise volonté habituelle ». Ce ne sera pas faute d’avoir prévenu. 19/
Remplacer les professeurs nécessite simplement : un vivier de professeurs remplaçants dédiés. Or, pour avoir des professeurs remplaçants, il faut des professeurs. Et les concours recrutent de moins en moins. « Mais pourquoi donc ? » On peut continuer longtemps comme ça hein. 20/