Xavier Archéo'Japon

1/26 Une connaissance m'a sollicité pour avoir mon avis. Ce n'est pas ma spécialité (qui est la métallurgie japonaise), mais mes études en doctorat d'archéologie à l'université de Hiroshima m'ont amené à connaître un peu le sujet. Commençons par la conclusion, à l'heure actuelle, https://t.co/YGybdZrbOA

2/ aucune fouille archéologique n'a permis de corroborer les légendes des sacrifices humains, emmurés vivants ou noyés dans les fleuves au Japon. En revanche, ces preuves existent en Corée, et j'en avais déjà parlé ici
https://twitter.com/XavierMT3/status/1449324795166748672?s=20&t=RQc81qroOiaCWUIK5ezpIg

3/ s'il n'y a pas de preuves au Japon, il y en a en Corée, et compte tenu que les élites🇯🇵 étaient très liées aux élites🇰🇷 aux 5e et 6e s de notre ère, elles ont, si ce n'est pratiqué, forcément eu du moins connaissance de ces pratiques. C'est la période oùhttps://twitter.com/XavierMT3/status/1487113910453153794?s=20&t=DndGAhnoGOroII19veS4VA

4/ bouddhisme mêlé de taoïsme et confucianisme arrivent au Japon (en même temps que l'écriture), et en l'espace de 2 à 3 siècles, se mêlent (syncrétisme) à la religion shintô. Ceci étant dit on débat toujours de la vraie nature du shintô avant l'arrivée du bouddhisme (certains

5/ chercheurs japonais pensent en effet que le shintô n'apparait vraiment qu'avec la période moderne, lorsque l'on va chercher à séparer bouddhisme et shintô). Les sacrifices ont donc été pratiqués en Corée et ont été connu des Japonais. Cela n'a donc cependant rien à voir avec

6/ le Shintô. Mais alors quid de toutes ces légendes? Tous les travaux de recherches japonais qui s'y attèlent relèvent généralement du domaine de l'ethnographie, ou des sciences folkloriques, un domaine s'intéressant aux différents folklores locaux et tentant d'en assurer la

7/ sauvegarde. Les "on dit" constituent alors la majorité des sources, avec éventuellement quelques textes. L'imaginaire et la pensée japonaise a très longtemps été influencé par la Chine (qui pratiquait aussi les sacrifices humains dans l'antiquité) et la Corée. Les vieilles

8/histoires ont dans bien des cas pu être détournées, en se basant sur les modèles antiques, puis rattachées à des croyances locales, la superstition n'ayant jamais été rare au Japon. Pour autant il est difficile d'affirmer qu'il n'y en ait pas eu.

9/ D'abord, les squelettes résistent mal à l'acidité des sols au japon (d'où leur rareté en fouilles). De +, le débit des nombreux fleuves au Japon est très fort, avec la saison des pluies et les typhons,il est presque impossible d'y déceler la trace de corps d'époque très reculé

10/ Il existe cependant une histoire à Sarukuyoji, dans le département de Niigata. La zone est connue pour être propice aux glissements de terrain. Pendant la période Kamakura, un moine (bouddhiste donc!), Yugyô, prenant en pitié les villageois victimes de glissement de terrain,

11/ aurait décidé de se constituer de lui-même hitobashira, afin de mettre fin à ces glissements de terrain, qui seraient causés par un grand serpent dans la région. La légende aurait pu s'arrêter là mais une fouille en 1937, découvrit un corps enterré dans une grande urne

12/ Cette grande urne étant située dans un remblais de terrain de cette même époque. L'âge estimé du moine correspondrait, et les os des jambes laissant pensé à un moine itinérant plutôt qu'à un villageois, ce serait l'un des seuls cas de hitobashira avéré. A noter que le wiki

13/ parle d'une position zazen de méditation du corps, ce qui conforterait encore plus l'hypothèse, mais je n'ai pas retrouvé ce détail dans d'autres descriptions. De plus, il n'était pas rare dans les périodes antérieures où l'inhumation en urne était répandue au japon (période

14/ Yayoi) que les corps soient placés dans une position jambes croisées rappelant zazen. https://t.co/EJxdqA8Gr2

15/ Certains autres squelettes purent également être retrouvés et supposés par certains chercheurs comme étant des hitobashira, mais ces découvertes sont bien souvent anciennes (aucune postérieure à 1960) et très remises en question par d'autres chercheurs: hitobashira du château

16/ de Hiji, ou un sarcophage en pierre fut découvert sous la pierre de fondation du rempart avec à l'intérieur un guerrier âgé (des morceaux d'ornements de casque ayant été retrouvé), et une figurine de vieillard en porcelaine - pas de traces d'emmurement vivant ; au château

17/ d'Edo, des corps furent retrouvés lors de la réparation d'une tour, après le séisme de 1923, les chercheurs avaient alors pensé à des hitobashira, ms on pense désormais qu'il s'agit des restes d'un cimetière attenant à un temple+ ancien, qui se tenait ds l'enceinte du château

18/ Bref pas de traces d'emmurés vivants et de drames, éventuellement quelques actes marginaux avec un acte volontaire, et peut-être le déplacement de sépultures suite à quelques superstitions, liées seulement de loin au shintô, avec l'image de ces histoires et légendes antiques

19/ en référence. @NotaBeneMovies parle alors avec justesse du tunnel jômon. De nombreux ossements furent effectivement retrouvés (+ de 50 corps), et les rumeurs et témoignages des personnes encore vivantes tendirent à confirmer des morts, mais rien à voir avec une quelconque

20/ tradition shintô. En fait, ces légendes se st vraisemblablement formés dans le mélange des religions qui s'est mis en place au 8e et 9e s au Japon. Ce type de croyance rappelle en effet beaucoup celui des onryô et goryô, ces esprits de mort courroucés et qui reviennent causer

21/ des catastrophes naturelles. Sans rentrer dans le détail, Sugawara no Michizane, dont j'avais parlé ici, se transforma en goryô et pour que son esprit soit apaisé, on construisit un sanctuaire au dessus de sa tombe et on le kamifia (déifia).https://twitter.com/XavierMT3/status/1449675240007606274?s=20&t=DndGAhnoGOroII19veS4VA

22/ En conclusion, notons que le concept de hitobashira en japonais tend à s'élargir, et non plus seulement désigné quelque chose en lien avec le shintô, mais bientôt sacrifié des gens pour une raison particulière, en lien souvent avec l'aménagement, la construction, de qqch

23/ Ainsi, on parle de Hitobashira pour les morts dans l'accident de la mine de houille Hokutan Yubari Shintankô, en 1981, où suite à un coupe de grisou puis au départ d'un incendie, il fut décidée avec l'accord des familles de noyer les rescapées impossible à sauver, afin

24/ la propagation de l'incendie et sauver ce qui pouvait encore l'être d'une explosion encore plus grande. Il fut dénombré 93 morts. Au final, la pratique du hitobashira, d'origine coréenne voir chinoise ne tient vraiment un lien avec le shintô que dans les légendes. Le mot fut

25/26 cpdt repris avec un sens beaucoup plus large et mélangé à d'autres croyances comme celles des goryô/onryô. Plutôt que la pratique elle-même, c'est la symbolique qui est demeurée, à part éventuellement pr quelques évènements marginaux s'écartant un peu du rite classique.

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Tue Sep 13 07:18:33 +0000 2022