Carnets sur sol

Je lis et entends beaucoup que God Save the King provient d'un air de LULLY écrit à la demande de Mme de Maintenon pour soutenir le roi pris dans l'épreuve de la fistule anale.

PLOT TWIST
👇 https://t.co/LY7Q6saTgK

J'ai souvent entendu cette histoire, que je tenais pour véritable, et Comme je ne vois pas le rapport sonore avec le Domine, salvum fac Regem de LULLY, je cherche un peu…

France Musique relaie d'ailleurs cette présentation des faits : https://www.radiofrance.fr/franceinter/comment-la-fistule-anale-de-louis-xiv-a-permis-la-creation-de-l-hymne-britannique-god-save-the-queen-5215134 .

Mais je suis un garçon exigeant, et, outre que je m'emploie à diversifier mes sources avant que de croire une si belle histoire, je remarque tout de même que le spécialiste convoqué, Jean-Noël Fabiani, est… chef de service à l'hôpital Pompidou.

Spécialiste en fistule peut-être, en sources historiques c'est moins sûr. https://t.co/xgdASYNUDM

Je m'oriente vers le point de départ à la fois le plus commode et le mieux sourcé, Wikipédia – on a tous été échaudés un jour ou l'autre par Wikipédia à ses débuts, mais c'est vraiment devenu un moyen puissant de commencer à creuser un sujet,

avec une rigueur que beaucoup de sites officiels n'offrent pas forcément.

L'encyclopédie mentionne bien la possibilité d'une origine LULLYste, mais précise plusieurs points importants :

→ l'origine de l'hymne n'est pas claire ; https://t.co/m667v5GqUX

b → l'attribution à LULLY est bien présente dans les textes, mais seulement mentionnée dans les Souvenirs de la marquise de Créquy… qui sont apocryphes.

(Les paroles seraient de la mystique Madame de Brinon, supérieure du pensionnat Maison royale de Saint-Louis.) https://t.co/1L4Ro1OM17

Je vais donc jeter un œil audit texte, grâce à la puissance de @GallicaBnF.

J'y trouve en effet mention de la paternité de LULLY lors d'une cérémonie en présence du roi, à Saint-Cyr : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2049657/f138.item

Cependant je perçois d'emblée plusieurs difficultés.

Je ne suis pas historien, mais la Nature ou la Providence m'a pourvu de raison, et je ne puis m'empêcher de remarquer que ce témoignage est dû à la marquise de Créquy, née en… 1714. https://t.co/8RNqafKdav

Or, la fistule, c'est 1686. Et la mort de Louis XIV, 1715. Si la marquise de Créquy a éventuellement pu entendre cet(te) hymne en personne, elle n'est pas un témoin de première main sur ses origines. https://t.co/wUEkw6mjmJ

Par ailleurs, il semble qu'une bonne partie de ces souvenirs soient dus à Maurice Cousin de Courchamps (écrivain et gastronome né en… 1783),qui les aurait écrit à partir de souvenirs et de lettres certes véridiques, mais qui constitue une médiation (littéraire !) supplémentaire. https://t.co/APC9DeaphD

Donc clairement pas la preuve irréfutable attendue.

Mais je suis un bon garçon, et je regarde tout de même avec attention le texte, qui contient possiblement des informations exactes, des pistes à creuser. https://t.co/38FQRfPmh4

Le récit lui-même m'a frappé par son ton très… XIXe.

« une sorte de motet, ou plutôt de cantique national et glorieux »
Pas très Grand Siècle comme pensée et comme expression.

Par ailleurs Créquy & Cousin mentionnent seulement le ouï-dire de l'attribution. https://t.co/iYCGGG28te

Il serait tout de même question d'un motet en français sur ce sujet, mais la distance temporelle est telle que la chose a pu être ajoutée aux souvenirs pour donner davantage de couleur historique et locale (on est à Saint-Cyr pour une cérémonie auprès du roi…). https://t.co/O6TG1bDPgJ

Ah ah !

Et on nous précise déjà qu'un Allemand nous l'a volé pour le compte des Anglais.

Or, (j'y reviens plus loin), la première apparition dans nos livres de God Save the King, c'est 1745.
Et c'est un recueil de mémoires remaniées, publié au début du XIXe siècle, qui le dit. https://t.co/vTLOVh8bXE

La note de bas de page de l'édition de 1873 offre une glose intéressante qui ouvre de nouveaux angles de recherche, puisque des journaux (mais du XIXe siècle !) ont publié des enquêtes sur le sujet. https://t.co/bkiGKamtkV

Je ne peux m'empêcher de sourire en lisant des religieuses de 1873 jurent sur l'honneur qu'on leur a bien raconté que Haendel était venu copier leur hymne 150 ans plus tôt… https://t.co/dumzws23vE

J'irai vérifier si Haendel a pu passer dans le coin ou reconnaître l'emprunt, mais encore une fois : LULLY, compositeur officier de Louis XIV, possible qu'il ait écrit un tel motet ; mais comme par hasard Haendel qui passe en personne le copier, ça fleure bon la légende locale. https://t.co/2lHRcjLuRJ

Je reviens donc à mon point de départ LULLYste. Troisième élément de contexte sur cette attribution : on ne trouve pas de source précise de la musique, mais des similitudes ont été remarquées avec une pièce pour clavecin de 1619 John Bull,

https://twitter.com/carnetsol/status/1568873277493477391?s=20&t=mTei8HIVFmVccWE9TN-dlw

ainsi que, plus à la marge, certaines pièces de Purcell.

De mon point de vue, ce genre de recherche au doigt mouillé, c'est comme la numérologie, si on cherche très fort d'avance son résultat, on finira par trouver quelque chose qui s'approche vaguement :

le Wikipédia francophone, reprenant le Wikipédia anglophone, mentionne ainsi que les altérations pouvaient être laissées à la discrétion de l'interprète (et donc en substance que si on ajoute assez de dièses, ça ressemble presque à God Save the King en un peu différent). https://t.co/REbyjdW2pf

Autre hypothèse, ce pourrait provenir de chants religieux écrits en plain-chant (ce qu'on appelle « grégorien » chez nous, même si c'est souvent écrit au XVIIe-XVIIIe). https://t.co/G5h0KPeO1a

d → Dernière mention de LULLY pour cette paternité peu convaincante : Berlioz, dans Les Grotesques de la musique, fait semblait de s'indigner de ce que les Anglais contestent cette paternité

« enfin certaines gens vont jusqu'à prétendre que le Freyschütz [sic, c'était la graphie française usuelle] n'est pas de M. Castiblaze !!! » https://t.co/gJAhxyb2em

La suite de mes rapides recherches ne m'a pas donné de réponse définitive sur l'origine de l'hymne britannique, mais il n'apparaît dans les écrits qu'en 1744 (première publication), et l'on n'a trace d'une première exécution qu'en 1745.

Fait amusant, le Wikipédia anglophone ne mentionne même pas l'hypothèse LULLY.

Mais il est vrai que la principale source en est très rétrospective (et un assez militante), et l'ironie de Berlioz ne plaide pas vraiment en sa faveur non plus.

¶ À présent, car je sais que vous l'attendez tous fiévreusement depuis le début de ce fil : mon opinion musicale sur le sujet. https://t.co/UszXAbrz91

1) D'abord, d'un point de vue strictement matériel, il est très étonnant, pour un compositeur aussi officiel, qu'on ne dispose pas au moins d'une mention dans les catalogues, qui permette d'affirmer qu'il a bien écrit quelque chose de ce genre. https://t.co/zeeP5Tg3Oh

2) Ensuite, d'un point de vue purement musical, pour avoir écouté tout LULLY (ou du moins tout ce qui a pu être publié) et en avoir joué beaucoup (y compris en réalisant des basses chiffrées, donc en « co-écrivant » du LULLY), j'ai vraiment peine à relier cette mélodie à lui :

les carrures des mélodies françaises du règne de Louis XIV sont très caractéristiques, et ceci n'y ressemble pas du tout. La transition de la seconde partie, en particulier, m'évoquerait beaucoup plus un contemporain de Schubert (ou un arrangement tardif d'une mélodie ancienne)…

Évidemment, le fait que j'ai entendu beaucoup de LULLY ne fait pas de moi un spécialiste de l'attribution, mais c'est quand même fâcheux que cette mélodie mal attribuée par les témoignages, absente du catalogue… ne ressemble même pas à du LULLY ! https://t.co/TWUZvCiyYq

3) Le témoignage de la marquise de Créquy et l'enregistrement proposé par @francemusique font état d'une œuvre a cappella chantée à l'unisson.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=12&v=A7vFHOPusyg&feature=emb_logo

Cela existait (le plain-chant), mais je m'étonne que LULLY n'ait pas pris la peine d'écrire un véritable motet pour son roi en péril mortel, ce sont plutôt des sous-maîtres de chapelle qui écrivaient ce type de pièce fonctionnelle. https://t.co/4ZgcKeXFp0

4) Dernière piste, je me suis dit qu'il pouvait s'agir d'une confusion avec le Domine, salvum fac regem, l'hymne royal issu de l'habitude locale, qui remonte aux Francs, d'insérer une prière au roi dans l'ordinaire de la messe.

Au XVIIe siècle, on ajoutait ainsi des petits motets pour compléter le texte de la messe proprement dit ; et fréquemment, au sein du Sanctus, on chantait le dernier verset du Psaume XIX (de David, saint patron particulièrement royal), https://t.co/PkEE0Mozg8

« Domine, salvum fac regem et exaudi nos in die qua invocaverimus te ».

Il y a débat sur l'apparition précise de l'usage autonome de cette prière (avant ou après la septième croisade), mais le début du texte est exactement similaire à God Save the King… et LULLY en a écrit un !

Je l'ai souvent écouté, et évidemment, il ne ressemble en rien à l'hymne britannique.

Et LULLY ne fait que suivre l'exemple de (Jean) Mouton et Formé et qui en avait composé des versions au goût du jour et à plusieurs voix.

https://www.youtube.com/watch?v=KxxVmpAkbJA

¶ À défaut d'avoir une réponse tout à fait ferme sur l'origine de l'hymne, je constate donc qu'il est assez difficile de l'attribuer à LULLY et (au séant purulent de) Louis XIV.

Peu de sources, très peu précises, guère fiables, et même pas de concordances stylistiques musicales.

Si on vous fait colporter une trop belle histoire, c'est peut-être que c'est vous le produit.

(Et @francemusique : interrogez plutôt des spécialistes que des « témoins » qui vont reproduire la légende urbaine qu'on leur a à eux-mêmes vendue pour le même prix…) https://t.co/wA11QedQIr

🇺🇳 Considérant que ce fil se diffuse de façon inattendue hors du cercle des copains pour l'amusement desquels je l'avais écrit, je précise peut-être que : ceci n'est pas un fil de « debunk » sérieux, je raconte simplement comment j'essaie de remonter le fil

de ce qui ressemble de plus en plus à une légende urbaine.

Je ne suis pas historien ni à la recherche de la vérité, je partage mon émerveillement de ce que je trouve, sans plus.

C'est un point d'étape, mais il y a possiblement des sources sérieuses que je n'ai pas encore identifiées, je vais tâcher de faire ce travail prochainement, et je pourrai peut-être poster réellement quelque chose d'un peu plus abouti.

Je le précise parce que je vois des RT avec en commentaire « la vraie histoire de GSTK », « la fin d'un mythe », etc.

Honnêtement, après deux fiches Wikipédia et deux sources primaires, je ne suis pas en mesure de trancher ça avec certitude pour l'instant.

¶ PARTIE II

Il me reste quelques vérifications importantes à faire : en cas de sources incomplètes sur Wikipédia, j'ai pu passer à côté d'éléments en faveur de la thèse LULLYste. https://t.co/bNgiKwQONN

1) Le catalogue.

J'étais parti de la simple supposition logique que, si l'on est obligé de chercher des preuves indirectes de son existence, c'est que l'hymne ne figure pas déjà au catalogue.

Je ne l'ai pas vérifié. https://t.co/VEZ1qzyxg5

Le second lien est par ailleurs intéressant, puisqu'il confirme que la seule source serait bien le témoignage totalement indirect d'un chant LULLYste par des jeunes filles a cappella, dans des mémoires apocryphes publiées au XIXe siècle. https://t.co/20KgGoVKkr

2) Ma seconde vérification porte justement sur l'existence potentielle d'autres sources : demain j'irai voir en bibliothèque (ou à défaut dans celles en ligne) si des auteurs sérieux mentionnent d'autres attestations plus directes de cette composition, que je puisse aller lire. https://t.co/oYPFBloLt0

a) Je trouve un article où est citée une autre référence, plus engageante : la duchesse de Perth – peu suspecte de chauvinisme gallican, et a priori (je vais vérifier tout cela) pas apocryphe.

C'est la prochaine piste que je vais creuser. https://t.co/bB4tZtB6eY

Ce qui est intéressant, dans ce supplément de The Musical Library de 1834, c'est que non seulement des anglophones étudient avec bonne volonté cette origine, https://t.co/RYXjU2qDez

mais surtout qu'ils attestent, d'une source indépendante de la première (à vérifier, Cousin a pu copier !), ce même chant des jeunes filles du pensionnat de Saint-Cyr, avec ces mêmes paroles (et la même rumeur sur l'attribution). https://t.co/FS5fBtChYi

Mme de Perth ajoute même la mystification du roi Georges par Haendel.

Il était donc nécessaire, comme on pouvait s'y attendre, de ne pas s'en tenir aux sources Wikipédia (aucune en anglais une seule en français), ni même à la lecture du catalogue. Prochaine étape : Mme de Perth. https://t.co/QMmvfAKfj7

Mais avant cela, je mentionne avec vous une autre piste intéressante.

Les auteurs proposent l'idée que le texte aurait été inauguré pour Jacques II en 1668, et qu'une traduction du chant de Saint-Cyr, fondé en 1685, est une éventualité séduisante.

Toutes choses à vérifier. https://t.co/N0Vwi8YbzJ

En ce qui concerne l'attribution à LULLY, mon scepticisme semble partagé par les auteurs : ils ont comparé avec les mélodies (des opéras, choix discutable mais seul disponible en 1834 ?) de LULLY & pensent aussi que GSTK n'est pas du même style, & d'une période bien plus récente. https://t.co/eJX37eFNpf

Ils proposent un chant spirituel publié en 1665, mais encore une fois fondé sur la ressemblance des (assez simples) mélodies, et essayant de justifier la discordance majeur/mineur. https://t.co/F6ER2oVlog

Encore une fois – comme pour l'identification des marbres –, les seules proximités d'aspect sont insuffisantes pour établir une causalité : il existe trop de possibilités de coïncidence dans la foule des compositeurs et l'homogénéité des styles nationaux au XVIIe siècle, https://t.co/2nYXVCy32B

il faut vraiment faire l'effort de remonter le fil de l'approvisionnement, sans quoi on en reste réduit à des spéculations intellectuellement satisfaisantes… mais qui restent probablement simplement des coïncidences stylistiques (voire statistiques). https://t.co/vRRraXBFiS

Ce n'est donc pas non plus une réponse définitive sur la source réelle… mais comme le travail serait immense et qu'il est douteux que je parvienne moi tout seul à démêler ce que des dizaines de générations de chercheur et de curieux ont échoué à expliquer,

je vais rester concentré sur LULLY et essayer de voir ce que nous dit Mme de Perth.

J'aurai encore quelques précisions à ajouter autour de cet article de The Musical Library, mais pour l'heure le Devoir m'appelle de sa voix argentine. https://t.co/taow4sn5JN

L'article de The Musical Library souligne par ailleurs que les auteurs n'avaient jamais eu vent de cette histoire du larcin haendelien avant que de mettre les pieds à Versailles, ce qui approche d'autant plus l'épisode d'une légende locale – mais ce sera pour une autre mission.

Source de l'article : Supplement to the Musical Library (apparemment une publication périodique qui existait dès le milieu du XVIIIe s., mais le titre très peu spécifique peut aisément connaître plusieurs homonymies), 1834.

https://books.google.com/books/about/Supplement_to_the_Musical_Library.html?id=SuMPAAAAYAAJ#v=onepage&q&f=false

Donc enquête très rétrospective : on voit bien que le sujet émerge tardivement en une forme de compétition nationale, tout au long du XIXe s. https://t.co/yf2X5c5hIo

b) Je rencontre une difficulté avec la Duchess of Perth : ses Memoirs ont été vendus aux enchères, mais je ne parviens pas à en trouver d'exemplaire, ni même une notice explicitant ce dont il s'agit (authentique ? date ?).

https://m.youtube.com/watch?v=1xHsAMik9VM

Je ne trouve trace que de Memoirs d'un duc de Perth (dans Memoirs of the Jacobites), où il est certes mention de duchesses de Perth, mais uniquement à la marge, elles n'écrivent rien – et on ne parle nulle part de LULLY.

https://youtu.be/_HDo2QVIDOo

Je constate en tout cas que la paternité de l'hymne britannique a beaucoup agité les revues, musicales ou généralistes, en France et en Angleterre, au cours du XIXe siècle, je croise beaucoup de titres qui chacun fait mention d'autres revues et d'autres démonstrations. https://t.co/knR5hbW60b

Exemple d'enquête dans The Musical Times and Singing Class Circular Vol. 19, No. 425 (juillet 1828).

Carey est célèbre pour avoir affirmé que son père avait écrit l'hymne (réclamant une pension à sa mort), et on étudie qui l'a chanté en premier dans les tavernes des 1740s… https://t.co/xfqWqlBqRE

*(juillet 1878)

Et nouveau PLOT TWIST. https://t.co/8Zf2DCJkj3

… je ne suis pas le seul à chercher la Duchesse de Perth !

Cette histoire est assez incroyable encore une fois ! Je vous la raconte dans la soirée. https://t.co/giDIBFeD5v

Impossible de trouver une version imprimée de ces Mémoires dont j'avais trouvé trace dans le numéro de The Musical Library.

L'article était constitué d'un emboîtement de citations peu claires, reprenant la thèse d'un journal qui lui même citait une nouvelle française,

et les guillemets ne permettaient pas tout à fait bien de différencier ce qui appartenait à quel locuteur.

https://www.google.fr/books/edition/Supplement_to_the_Musical_Library/SuMPAAAAYAAJ?hl=en&gbpv=1&pg=PA64&printsec=frontcover https://t.co/1sInRErHjv

La livraison du Musical Times du mois d'août 1878 permet de lever cette ambiguïté…et bien d'autres.

En 1878 vraisemblablement, en tout cas peu de temps avant la mise sous presse de l'article de William Cummings dont je vais vous reproduire des extraits,

https://www.google.fr/books/edition/The_Musical_Times_and_Singing_class_Circ/fIoPAAAAYAAJ?hl=en&gbpv=1&pg=PA381&printsec=frontcover

une lettre de Lord Houghton (je suppose que c'est celui-ci : Richard Monckton Milnes, premier baron du nom, 1809-1874, homme de lettres et notamment de lettres-lestes) est publiée dans le Times (le vrai Times) et provoque beaucoup d'émoi : https://t.co/8vEerzdMnc

Il y affirme que l'attribution à John Bull était peu rigoureuse, et que l'on sait désormais que l'air est de LULLY, joué pour la première fois lors de la visite de Louis XIV et Madame de Maintenon à la Maison royale de Saint-Louis. https://t.co/D7VogcIjZI

Cette affirmation doit tout de même recevoir quelques réserves : Bull n'a pu s'approprier l'air de LULLY, étant mort cinq ans avant la naissance de celui-ci, n'a jamais été organiste de Saint-Paul… et elle repose toute entière sur… les souvenirs de la marquise de Créquy ! https://t.co/K1IM4mCmWx

J'en profite pour vous glisser ce que le Quarterly Review disait de ces Mémoires de la marquise de Créquy : « une mystification totale – la plus vulgaire et la plus impudente des impostures », https://t.co/6Tgx5olWAn

« car non seulement les faits sont faux et l'œuvre menteresse, mais la personne même à qui on les attribue est un fantôme créé par l'ignorance du faussaire qui,

ayant ridiculement pris une dame de la famille de Créqui [sic] pour une autre, bâtit tout son édifice sur cette gaffe primordiale » https://t.co/hs6H7ZR52r

Fin provisoire de l'histoire : le Times essaie de mettre en valeur la trouvaille, mais la lettre de Houghton est, à en croire le Musical Times, vite contredite factuellement.

MAIS. https://t.co/1Z5pRNXJoq

Il y a aussi la duchesse de Perth, rappelez-vous, qui raconte sensiblement la même histoire dans ses Mémoires.

C'est même à cause de cette mention dans un journal musical britannique que je n'ai pas abandonné ma recherche de paternité LULLYste :

https://twitter.com/carnetsol/status/1569207498850148353?s=20&t=4nrJWrRS94CYC0IFtXXt9g

Dans Le Cabinet de Lecture, « gazette de la ville et de la campagne », aux sujets largement culturels, et qui paraissait tous les cinq jours, on raconte, l'année où la Musical Library le rapporte (1834), qu'on vend en ce moment même à Édimbourg le manuscrit https://t.co/0A8N1JzE2w

des Mémoires de Mme de Perth.

Je n'ai pas encore trouvé (Gallica numérise moins bien que Google pour les recherches) le bon numéro, ce sera important pour être assuré de la bonne foi des Anglais, mais voici la traduction du texte français : https://t.co/nDUNcC3yXb

(à la relecture, traduit *et* sans doute adapté, je vous avais dit que ce n'était pas clair)

Je ne comprenais pas bien comment les journalistes avaient pu prendre connaissance de détails aussi précis d'une œuvre qui n'était manifestement qu'à l'état de manuscrit :
https://twitter.com/carnetsol/status/1569261495472603138?s=20&t=4nrJWrRS94CYC0IFtXXt9g

Eh bien je ne suis pas le seul.

William Cummings du Musical Times, qui a plus tard publié un ouvrage entier sur God Save the King que je n'ai pas encore pu me procurer : « Où sont ces Memoirs ? Qui les a vendus, et qui les a achetés ? » https://t.co/7NlrgFHfYM

Ce qui est décisif ici est qu'en 1878, les écrits de la duchesse de Perth n'ont toujours pas été publiés et, supposément vendus en Écosse (et écrits en anglais ?), ils sont inconnus des critiques britanniques. https://t.co/6kO9lzAnl5

(pour ceux que l'interprétation – intéressante mais très spéculative – de Cummings sur la non-paternité de Haendel intéresse, c'est par ici : https://www.google.fr/books/edition/The_Musical_Times_and_Singing_class_Circ/fIoPAAAAYAAJ?hl=en&pg=PA438&printsec=frontcover )

Et j'ai finalement trouvé l'article d'origine du Cabinet de lecture : traduction tout à fait fidèle donc.

La Gazette de France aurait produit des documents, je vais donc aussi regarder là, si jamais un élément probant s'y glissait. https://t.co/iY7mABMsOa

¶ Si je résume : la seule occurrence non seulement de l'extrait, mais même de la mention de ces Mémoires de la duchesse de Perth est due à un journal français, qui publie, deux mois après que les Souvenirs de la marquise de Créquy se sont fait démasquer comme falsifiés, https://t.co/55Q78f5Xrv

l'exact même récit, recopiant lui aussi scrupuleusement les paroles françaises du chant, mais attribué à une duchesse *anglaise* – dont personne n'a jamais pu retrouver la trace littéraire. https://t.co/UrNVNmsnwc

Et pourtant, ce journal français a pu lire des extraits de ce texte et en publier un extrait, au moment même où le témoignage de pseudo-Créquy se faisait défoncer dans la presse. https://t.co/2tGVZOJl9d

Et tout cela sachant que le détail du témoignage de Créquy posait déjà plein de problèmes (chronologie, genre musical étrange… et surtout absence de donnée directe, hors ouï-dire, de qui a composé le chant !). https://t.co/vAgpsWLZfD

Bon.

Je crois que je peux arrêter là la piste Perth : non seulement ça n'a jamais été publié, mais de surcroît ça n'a vraisemblablement jamais existé du tout. https://t.co/qXXtsRswHH

¶ Il me reste à essayer de trouver le numéro de la Gazette de France qui donnerait des preuves (selon les menteurs du Cabinet de lecture…).

En attendant, pour les curieux, voici l'épisode complet de pseudo-Créquy : https://penelope.uchicago.edu/crequy/chap104.html .

Pour l'heure, après deux jours de recherches – certes dilettantes –, je dispose seulement deux sources marginales, dont aucune n'a vu la partition, et qui se révèlent des faux grossiers. https://t.co/mqtvCIIsw2

Je cherche à gratter du côté de la moindre zone de doute possible, mais on s'approche du moment où il n'y a plus aucune source debout pour soutenir ne serait-ce que l'éventualité qu'on ne puisse écarter LULLY, et où on va pouvoir dire avec une marge d'erreur assez ténue : https://t.co/TQ8YydS7tj

(De toute façon, du simple point de vue musical, je suis sûr qu'un musicologue un peu sérieux pourrait nous dire en quelques secondes « cet enchaînement est impossible en 1680 ». Et fin de partie.)

(Mais vous me direz qu'on peut toujours modifier un air au fil du temps.) https://t.co/ZMLYkym5f5

Mon Sep 12 18:08:47 +0000 2022