Anna Colin Lebedev

L'avenir de l'Union européenne se joue aussi sur le front ukrainien.
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Loin de moi l'idée de faire un texte militant, mais juste rappeler quelques basiques.
a) La guerre de la Russie contre l'Ukraine a démarré en 2014, et son détonateur a été la question de l'UE. 🧶 1/19

C'est suite au refus du président Ianoukovitch de s'engager dans un accord d'association avec l'Union européenne (au profit d'un accord avec la Russie) que les Ukrainiens se sont rassemblés dans un premier mouvement protestataire, l'Euromaïdan, mobilisation pro-européenne 2/19 https://t.co/VUY6i6E35F

"Poutine, si tu m'aimes, laisse-moi partir" est le texte porté par cet activiste ONG connu (et personnalité LGBT importante en Ukraine), Zoryan Kis. Aujourd'hui, Zoryan est sous les bombes en Ukraine. Cette photo mérite un fil à elle seule. 3/19 https://t.co/FKzZJiDQbi

"Pro-européenne" n'était pas "anti-russe", le chemin pro-européen ne supposait pas le refus de la langue ou de la proximité. Cependant, le désir d'Europe a été interprété comme danger puissant par Moscou, et a enclenché l'annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass 4/19

b) Cette aspiration à l'Europe est en soi un élément important. Nous sommes critiques de notre union, et aujourd'hui critiques d'une absence de puissance militaire européenne, sans avoir conscience de la puissance de notre modèle et du soft power de l'UE. 5/19

Le modèle européen est désirable pour ses voisins: l'Ukraine, mais aussi les populations moldave et biélorusse (comme le montrent les enquêtes d'opinion). Nous savons aujourd'hui que l'attractivité de l'Europe est si dérangeante qu'elle peut provoquer une guerre. 6/19

c) En même temps, et c'est un paradoxe éclairant, l'Etat russe nie l'existence même de l'Union européenne. Refuse d'y avoir un interlocuteur et ne parle qu'aux Etats. Humilie le Haut représentant Josep Borrell lors de sa visite à Moscou il y a un an. 7/19
https://t.co/PatsajohQS

Le discours officiel russe nie toute subjectivité à l'Union européenne et la présente comme un accessoire et comme une marionnette des Etats Unis. Pour parler de la situation en Europe, la Russie ne s'adresse qu'à l'OTAN. 8/19

On voit souvent cela comme un signe de faiblesse de l'Union européenne. J'y vois au contraire un signe de sa puissance. Face aux armes de l'OTAN, la Russie a des armes à exhiber. Face au modèle que représente l'Union européenne, la Russie n'a aucun contre-modèle. 9/19

d) Si l'Etat russe attaque l'Ukraine militairement, dans une guerre dont la brutalité n'a pas de justification, c'est parce qu'il a échoué à conquérir la société ukrainienne par la force de son modèle. Le "monde russe" autour la Russie est une coquille vide idéologique. 10/19

Vu de loin, on peut croire à un "modèle" russe: langue, culture, référence aux traditions chrétiennes conservatrices. La langue s'effrite en dehors de la Russie (aussi parce que le modèle n'est pas attractif), la culture est effectivement un ciment commun qui reste positif. 11/19

Quant au supposé socle conservateur commun, il est déclaratif et ne correspond même pas à la situation à l'intérieur de la Russie. Par exemple, l'Eglise orthodoxe est très visible en Russie, mais la pratique religieuse extrêmement faible. 12/19
https://t.co/uD1DociMPT

Le "monde russe" a pour volet social l'idée que la Russie irriguera économiquement ses périphéries. Le projet est basé sur l'idée d'une centralité de la Russie qui aimante les voisins par des dépendances objectives, et désormais par l'idée d'un adversaire commun. 13/19

Jusqu'en 2014, le modèle apparaissait comme vendable. A partir de là, la Russie n'a réussi à imposer son influence dans son proche voisinage que par le haut, en obtenant l'allégeance des dirigeants contre des contreparties. Pas par l'adhésion des populations. 14/19

Les républiques séparatistes du Donbass en sont à la fois un épicentre et une exception. Elles sont aujourd'hui le lieu où le désir de Russie est le plus puissant, mais ce désir a été obtenu en attisant une guerre. Le coeur de la "Nouvelle Russie" est un lieu de désolation. 15/19

Je ne sais pas ce que la Russie va gagner dans cette guerre. Mais on sait déjà ce qu'elle va perdre: les dernières miettes de son soft power. Les représentants les plus influents du monde culturel et artistique russe ont d'ores et déjà condamné l'agression. 16/19

J'entends des collègues des études slaves, spécialistes de littérature ou d'histoire, dire que l'idée d'être associés à un "monde russe" leur est insupportable. Et ce n'est qu'un début. 17/19

e) La discussion sur les problèmes (réels) de l'Union européenne qu'on met en avant dans nos sociétés nous brouille la vue sur un élément essentiel. Nous sommes le miroir de la Russie. C'est en nous que le pouvoir russe se regarde, c'est contre nous qu'il se construit. 18/19

Je n'ai aucune recommandation à formuler; ce n'est pas mon métier. Je suis sociologue, mon analyse géopolitique a forcément des failles. Mais je pense que dans cette guerre, l'Europe a un rôle central. Au-delà de l'intervention militaire, nous sommes la ligne de front. 19/19 🧶

Sun Feb 27 08:11:44 +0000 2022