Avant-hier, un youtubeur aux 700k d'abonnés, Johan Papz, publie une vidéo qu'il présente comme un reportage sur son compte Instagram.
Il indique vouloir relayer un "message" pour aider des agriculteurs en difficulté.
Voici la vidéo en question : https://t.co/JS7IHGDioQ
Dans cette vidéo, le fameux "message" des agriculteurs est le suivant : défendre l'usage du Bonalan, un herbicide qui présente des risques pour l'environnement, et que la Commission Européenne propose d'interdire.
Le Youtubeur explique, avec les agriculteurs interrogés, qu'il n'existe "aucune alternative" au Bonalan pour cultiver des endives ou de la chicorée. Que s'il est interdit, ils ne pourront plus "cultiver leurs légumes".
La vidéo est sympa, bonne enfant, mais un public averti reconnaît tout de suite le discours classique de l'industrie phytosanitaire. "Bien utilisé", le Bonalan ne présente aucun risque, il est indispensable, etc.
Dans la vidéo, Johan Papz ne parle pas des nombreux cultivateurs qui se passent déjà du Bonalan, et qui cultivent malgré tout des endives ou de la chicorée.
Il n'évoque pas non plus les risques du produits pointés par l'EFSA :
https://t.co/UzUmWrMJmR
Mais, surtout, il présente cela comme un reportage qui lui tient à coeur, explique que c'est important d'aider les agriculteurs quand on a une grosse communauté, etc.
Problème : cette vidéo n'est pas un reportage désintéressé, mais un partenariat rémunéré, financé par Interfel (organisation professionnelle agricole) et produit par une agence Belge. Johan Papz a été payé pour cette vidéo.
Son agent me l'a confirmé.
Aucune mention de ce partenariat n'apparaît, ce qui enfreint les règles du contenu sponsorisé sur Instagram et, surtout, ce qui trompe son audience, à qui il n'indique pas avoir été payé par une organisation qui défend l'utilisation du Bonalan.
J'ai pu me procurer le brief de l'agence belge chargée de produire la vidéo, envoyé à l'agence de Johan Papz.
Le voici, en plusieurs parties. https://t.co/zdOF2nbCJr
On peut y lire qu'il s'agit d'un "timing urgent", car "une réunion importante se tiendra fin janvier 2021 entre les producteurs et les instances décisionnaires du secteur".
On retrouve le script précis de la vidéo publiée par Johan Papz. https://t.co/fMkJDwwZvH
Dans sa vidéo, le youtubeur dit qu'il a reçu un message de "deux agriculteurs qui ont besoin d'aide, Maxime et Philippe".
Rien de spontané... On retrouve cela dans le script :
"Vous expliquez que des producteurs vous appellent à l'aide. Vous déclarez vouloir les soutenir." https://t.co/8EKQ6wQhNk
Au téléphone, l'agent de Johan Papz m'a d'ailleurs expliqué qu'en allant sur le terrain, il ne savait pas qui il allait rencontrer. Le coup de "j'ai reçu un message de Maxime et Philippe" est de la pure fiction.
Ce passage du script est assez édifiant : "Vous affirmez que nous devons soutenir les agriculteurs locaux et que le problème n'est pas qu'ils utilisent des pesticides mais qu'il n'y a pas d'option plus sûre aujourd'hui."
C'est effectivement le message dans la vidéo... https://t.co/XoxISdLUiT
Le brief insiste bien sur la nécessité de jouer sur "l'émotion" pour faire comprendre aux jeunes que l'herbicide est la seule option pour les agriculteurs (ce qui est faux). https://t.co/HS19U5OdFD
J'ai demandé à l'agent de Johan Papz et à l'agence belge quel avait été le montant de la rémunération perçue par le youtubeur pour cette opération de communication pro-herbicide. Ils n'ont pas souhaité me répondre.
Bref, le problème n'est pas tant que Johan Papz fasse la promotion d'un herbicide que la Commission européenne veut interdire. C'est son droit. Le problème est de tromper l'audience en présentant cela comme un reportage désintéressé (et presque altruiste).
Cela montre surtout les méthodes utilisées par les défenseurs de l'industrie phytosanitaire, qui n'hésitent pas à cibler les plus jeunes à travers des incarnations sympathiques, pour dérouler leur propagande.
Johan Papz vient de modifier la description de sa video pour indiquer qu’il s’agit d’une collaboration rémunérée avec l’agence belge dont je vous ai parlé, elle même payée par l’organisation agricole qui défend l’usage du Bonalan. https://t.co/HvC4vhD8Ed
Encore une fois, faire ouvertement de la publicité pour des produits sur Instagram, c’est normal, il faut bien que les youtubeurs ou influenceurs gagnent leur vie. C’est la manipulation pernicieuse de l’opinion par des lobbies qui pose problème ici.
Une vidéo similaire, probablement produite par la même agence vu la charte graphique, a été tournée en Belgique et publiée sur le compte d’un animateur radio belge. Même message de fond. ⬇️
https://t.co/jfeKm2Pqky
Dans les deux vidéos, celle de Johan Papz et celle du Belge, on retrouve également une critique de l’agriculture biologique. Le discours est le suivant : le bio « traite » aussi avec des « produits » (sous-entendu comme le conventionnel avec du Bonalan, ce qui est faux).
⚠️ Interfel dément être à l’origine de la vidéo, contrairement à ce qu’affirme l’agence belge The Louise Compagny. Qui ment ? J’ai évidemment les preuves de ces déclarations. https://t.co/raeIPF1NFy
La responsable de l'agence belge affirme que la vidéo est commandée par "Légumes de France", qui fait partie du collège production d'Interfel. Il est donc possible que la vidéo ait été commandée directement par LdF, sans que la gouvernance Interfel soit mise au courant.
"Légumes de France" indique sur son site fédérer notamment des sections spécialisées légumes des FDSEA, émanations départementales du célèbre syndicat agricole FNSEA.
Il est important de préciser que certaines agences françaises d’influence, contactées par l’agence belge, ont refusé la proposition en découvrant le brief. Celle de Johan Papz l’a acceptée.
Ah, le compte Twitter de « Légumes de France » semble aussi démentir de manière floue et... à sa façon. 😁
Soyez concrets @LegumesdeFrance : pouvez-vous affirmer que vous n’êtes pas à l’origine de cette vidéo ? https://t.co/9TZZe25DJk
L’excellent @GregGuillotin m’indique à l’instant qu’il a également été contacté par l’agence belge, qui lui a proposé le même projet avec le même brief, mais qu’il n’a « évidemment » pas donné suite.
« Légumes de France » affirme ne pas être à l’origine de la vidéo pro-herbicide. L’agence belge qui a produit ce format, elle, affirme le contraire. Quelqu’un ment. Ce qui est sûr, au vu du brief que j’ai obtenu, c’est qu’une organisation pro-Bonalan a financé cette vidéo. https://t.co/vyVDnSEeBq
Enfin, le youtubeur Johan Papz a finalement supprimé la vidéo de la grille de profil de son compte Instagram.