Jean Michelin
@jean__michelin
Mon Sep 28 19:58:56 +0000 2020

BON D'ACCORD. https://t.co/A0Ln6Oen5Q

Qu'on soit témoin que j'ai été honteusement forcé. Laissez moi deux minutes pour mettre trois trucs par écrit.

Voici donc la consternante histoire dite « du gant de combat dans la pinède », ou comment acquérir les vertus de la patience et de l’exactitude militaire pour le prix modeste d’un élément de paquetage.

Le Bois du Loup, c’est le premier rendez-vous à Saint Cyr dont on parle avant d'y aller. C'est un peu comme le CNEC ou la Guyane.
On s’en fait une montagne, alors qu’il s’agit surtout d’un premier séjour sur le terrain très progressif et relativement facile.

(Facile en regard de ce qui arrive ensuite, dans les centres commandos notamment mais je vous en ai déjà parlé).

C’est pas loin d’être la première sortie sur le terrain, on a déjà appris quelques bases élémentaires de la vie militaire qu’il s’agit d’aller mettre en pratique pendant une grosse dizaine de jours en septembre.

Evidemment, on s’y croit tous à mort, on est comme des dingues alors qu’on est plutôt gauches et moches dans une tenue qu’on porte encore assez mal.

D’ailleurs, je me suis rendu compte assez vite que porter l’uniforme, ça s’apprend. On ne naît pas avec l’élégance innée des vieux briscards. On commence tous avec un béret trop grand, un treillis mal taillé et les bretelles de suspension de traviole.

Mais ce n’est pas le sujet : on est moches certes, mais on est sur le terrain COMME LES VRAIS.

Nous avons donc un camp de base dans lequel nous passons quelques heures par nuit, et le reste du temps, nous arpentons la lande bretonne et ses buissons épineux de légende.

(ceux qui ont déjà passé la douche du retour au quartier à s’enlever des épines d’ajonc d’endroits divers de leur anatomie savent de quoi je cause)

Je me souviens plus trop de ce qu’on faisait, sans doute les bases du combat à pied.
Je connais mes écoles de @saintcyrcoet, je sais qu’il y avait déjà à cette époque un cahier des charges sans doute TRES DETAILLE.

Les gens croient que ça s’improvise de former des militaires. QUE NENNI, MEC. On est des gens sérieux, on a des supports de cours et des cases à cocher et des standards. A Coët, il y avait même un PROJET PEDAGOGIQUE.

Bref, un soir, ça devait être marqué dans le projet pédagogique, on a cours de bivouac. Oui, parce qu’il n’est pas question de monter sa petite tente tous les soirs quand on sera sur le terrain pour de vrai, en mode camping sous les étoiles. On est des gens sérieux.

Le bivouac du soldat français, c’est une bâche en toile, deux tendeurs et quatre sardines, et tu te claques un abri de fortune là dessous.

(je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans tout ça, c’était avant la tente deux secondes hein)

Avantage de la bâche : c’est pas lourd à trimballer et à installer. Inconvénient : bah, c’est jamais qu’un rectangle de toile que tu tends vaguement entre deux arbres donc c’est pas exactement cinq étoiles.

Et donc, on apprend à monter une bâche sous laquelle, on ne le sait pas encore, on va passer des nuits et des nuits et des nuits (et souvent, des tout petits bouts de nuit, d'ailleurs) au cours des années à venir.

Mon vieux, je l’ai encore, ma bâche. Elle a pas servi depuis quelques années, mais elle attend son heure au fond de ma cantine, avec une poignée de sardines tordues et deux tendeurs, les mêmes qu’à l’époque.

Bref, ce soir-là, on a donc cours de bivouac.

Et une fois notre forfait accompli, on s’imagine qu’on va aller creuser des trous de combat ou marcher la nuit ou faire un truc du genre, en mangeant notre rogntudjû de poulet au curry froid.

(j’ai déjà parlé du poulet au curry, dont la légende commence au Bois du Loup, dans ce thread-là en dessous) https://t.co/nsSYTg8Mqc

On apprend donc à tendre une bâche. Puis le sous-officier qui nous encadre nous annonce que nous allons faire du drill.

Le drill, c’est le mot qu’on utilise pour dire qu’on va faire quelque chose de très chiant et de très important PLEIN de fois.

En l’occurrence, démonter et réinstaller notre bivouac, dans une pinède au coin de la route. En vitesse, parce qu’on est chronométrés. Et plus on avance dans l'exercice, plus on nous rajoute des contraintes.

On commence plutôt cool. Juste poser la bâche et se mettre dessous, puis la démonter et se mettre en disposition de route, rassemblés sac au dos.

Et on termine dans sans lampe, allongés dans nos duvets, rangers ôtées, à devoir tout plier dans le noir complet en cinq minutes.

Je m’en souviens parce que dès la première itération, on choisit mal nos arbres avec mon binôme et j’entoure mon tendeur en marchant de façon répétée sur un nid de guêpes au pied de l’arbre.

LA SUITE VA VOUS SURPRENDRE!

On est pas encore à la fin de la première étape que j’ai déjà la tronche comme un compteur à gaz sous l’effet de trois quatre piqures. Ce qui, vous en conviendrez, n’aide pas à la lucidité.

Toujours est-il qu’on passe les deux heures suivantes à installer et à démonter un bivouac tactique, jusqu’à finir dans le noir complet et en vitesse.
Et puis on part marcher, après, je crois, ou alors on va dormir sur place, je ne me rappelle plus.

En fin d’activité arrive le deuxième élément de cette histoire, un truc qui est inscrit dans les gènes du soldat français : le contrôle PAM (personnel, armement, matériel).

Ce truc, c’est ce qu’on fait à chaque fin de manip’, pour s’assurer qu’on a rien perdu dans les kékés ou sous un arbre. C’est un réflexe qui est devenu presque animal pour chacun de nous et que j’ai encore aujourd’hui.

D'ailleurs, il suffit qu'on me dise "OH LES GARS, CONTRÔLE PAM" pour que je me mette à faire l'inventaire de mes poches, nerveusement.

On croit que c’est anodin, mais pas du tout : en stage commando, quand on fait une pause pendant une marche à 3h du matin, vaut mieux faire un contrôle PAM pour s’assurer qu’on laisse pas un flingue ou un mec qui s’est endormi au bord de la route.

Bref, on en fait tout le temps. Et ce soir-là, catastrophe : en faisant mon contrôle PAM, je me rends compte qu’il me manque un gant de combat.

Un gant de combat, à l’époque, c’est un espèce de gros machin en simili-cuir vert kaki qu’on est obligé de porter, parce que la peau nue ça se voit quand c’est pas camouflé (nous dit-on).
C'est gants de combat, ou alors on doit se passer les mains à la crème de camouflage.

J’en ai perdu un : crime impardonnable, nous ne sommes pas des Américains, pour qui me prends-je à négliger le matériel que la France, notre mère nourricière, me fournit pour remplir ma mission ?

Avec mon binôme (qui, j'espère, m'a pardonné depuis) nous passons donc une bonne demi-heure à ratisser la zone que nous venons de piétiner pendant deux heures à la recherche du fameux gant.
Et rebelote en repassant dans le coin le lendemain matin.

Evidemment, je ne retrouverai jamais ce maudit gant de combat, mais ce n’est pas le sujet.
A l’armée, le matériel, c’est sacré, parce qu’il nous est confié.
On peut casser des trucs, ça arrive, mais en PERDRE, c’est la faute ultime.

D’abord parce que ça induit de la paperasse, pour justifier la perte. Qu’il s’agisse d’un truc grave ou pas, d’ailleurs. Et au commencement de cette paperasse, il y a la nemesis du militaire à l’instruction : le COMPTE-RENDU REGLEMENTAIRE.

Il s’agit, disons-le, d’un exercice de style chimiquement pur : il s’agit de rédiger un document manuscrit, en suivant des cotes millimétrées, pour expliquer ce qu’il vient de se passer.

En l’occurrence, pour moi cela signifiera 2 heures à mesurer mes marges et à tracer des lignes pour expliquer à mon chef de section que j’ai perdu mon gant et que mes efforts pour le retrouver sont restés vains.
SPOILER ALERT: il s'en fout, ce n'est pas l'intérêt de l'exercice

Le moindre truc qui dépasse : on refait le compte-rendu. Une faute, une rature, un truc pas droit, un point sur un I majuscule : on refait le compte-rendu. Le vorace a un pet de travers : ON REFAIT LE COMPTE-RENDU.

Ce qui fait que je vous ai menti, en fait : je ne me souviens pas vraiment de mon séjour au Bois du Loup.
En revanche, ce foutu compte-rendu que j’ai refait sept fois dans la semaine du retour pour ce gant de combat à la noix, ça, je m’en souviens.

La morale de cette histoire est facile à deviner.

Je n’ai plus jamais rien perdu sur le terrain. Et comme on transmet des choses, dans l’armée, j’ai moi aussi demandé des comptes-rendus à de jeunes recrues. Et ils les ont refaits. Et refaits. Et refaits.

Vous pouvez appeler ça de la brutalité administrative. Mais à ma connaissance c’est une pédagogie qui a fait ses preuves.
J’y ai appris l’importance du respect des standards et le soin du matériel qu’on nous confie (et qui, en passant, est payé avec les impôts de nos concitoyens.

Je crois que c’est un système plutôt vertueux. Et j’adresse mes chaleureuses pensées au jeune Bazar qui, ce soir, va perdre un appuie-joue ou une goupille ou une autre bricole sans importance.
Mon vieux, bon courage.

On s’en remet. Et avec le temps, on y trouve même quelques leçons utiles.
(Et puisqu’il me lit : non, tu n’iras pas plus vite en coupant tout droit dans les buissons épineux. Crois-moi, je sais.)

Bonne nuit sur le terrain ! Mitch, out.

Mon Sep 28 20:59:52 +0000 2020