Loris Guémart

Je profite d'une petite polémique de plagiat (qui semble partiellement fondée) chez ce youtubeur pour évoquer la question de la visibilité des sources. Personne ne clique jamais dessus, affirme-t-il statistiques à l'appui. https://t.co/ZHMjFQhXRK

C'est une remarque particulièrement intéressante parce qu'on la croise aussi chez les journalistes, le web n'ayant (étonnamment) pas changé grand-chose à la pratique standard : l'absence très fréquente des sources, et encore plus des liens vers lesdites sources.

Il y a en effet une culture journalistique dominante qui veut que la plupart des infos extérieures n'aient pas à être sourcées liens à l'appui, en particulier quand c'est une info déjà "blanchie" par des reprises.

Pas besoin de retrouver la source d'origine et de la re-sourcer. Pas besoin de vérifier que la source initiale dit bien ce que la source secondaire affirme qu'elle dit. Et on se retrouve avec des âneries répétées ad vitam eternam parce qu'un journaliste s'est trompé une fois.

Je ne néglige pas, dans cette pratique culturelle des journalistes, le fait qu'ils ne sont absolument pas incités par les hiérarchies à mettre des liens externes, qui nuisent historiquement au référencement.

C'est aussi beaucoup d'effort pour un bénéfice perçu négligeable vu de bien des rédactions et hiérarchies. Bref, "personne ne clique", pour résumer ce qu'en dit ce youtubeur (beaucoup de journalistes seraient d'accord !).

Sauf que, sauf que, sauf que... d'abord, les sources en matière d'information, c'est un peu comme l'hygiène dans une cuisine ou un bloc opératoire : en réalité, c'est la base. Perso, pas de sources = je me méfie fortement. Les wikipédiens le savent bien !

Il se trouve que dès qu'on sort de l'info type dépêche AFP ou reportage d'événement où est le journaliste (ou enquête sur un champ négligé), l'immense majorité des contenus médiatiques faillit sur ce niveau de base de la crédibilité.

Les localiers penseront inévitablement au "révélé/raconté par la presse régionale" sans aucun lien, un classique des médias nationaux. Mais c'est pareil dans bien d'autres cas, y compris ceux portant sur une seule source (au hasard : un sondage) dont le lien n'est même pas mis.

Là, typiquement, avec ce youtubeur, au-delà des quelques illustrations volées au youtube anglo, savoir qu'il met toutes ses sources inspire confiance, qu'il se l'épargne inspire la défiance.

"Oui. Mais. Personne. Ne. Clique." Le taux de clics sur les sources de Wikipedia est lui aussi très faible. Jamais personne non plus n'a jamais écrit à un média pour lui dire "j'adore votre édition". Exemple typique d'une pratique invisible mais pas sans conséquences.

Par ailleurs, ceux qui vont cliquer seront les lecteurs/spectateurs les plus pointilleux. Ceux pour qui ces liens seront réellement importants en cas de volonté d'approfondir ou de vérifier une info. Chez @arretsurimages on met des dizaines de liens par article, et c'st normal.

Retrouver/citer les sources primaires, au-delà d'améliorer la qualité des infos (vous seriez surpris des bêtises blanchies par les reprises), est aussi une bonne gym pour l'esprit critique et l'éducation aux médias, choses valorisées chez les vulgarisateurs (et les journalistes).

Ah oui, enfin : mettre ses sources de la manière la plus extensive possible est aussi un bon moyen d'éviter de se faire accuser de plagiat et de vol du contenu des youtubeurs anglophones.

PS : l'immense parcimonie avec laquelle sont mis des liens et des sources explicites ne serait-il pas par hasard un des innombrables facteurs de la défiance envers les médias ? Je pose ça là, vous en faites ce que vous voulez.

Nota bene plagiat dans les médias en trois articles : d'abord un plagiat grossier.
https://www.arretsurimages.net/articles/une-vraie-fausse-interview-dalice-taglioni-en-belgique

Ensuite, le plagiat plus subtil à base de traduction de sources dans une autre langue (tip : mettre le lien n'exonère pas de réécrire... y compris les meilleures punchlines).
https://www.arretsurimages.net/articles/rockfolk-et-la-rtbf-plagient-des-medias-anglophones

Enfin, le plagiat narratif/conceptuel (classique de journaliste : "oh j'ai refait l'enquête") : plus subtil, ne répond pas à la définition juridique du plagiat, pas joli-joli pour autant... surtout si on ne met pas explicitement en avant ses sources.
https://www.arretsurimages.net/articles/martinique-une-chronique-de-politis-accusee-de-pillage

Si par le plus grand des hasards vous connaissez ou repérez des plagiats dans des contenus médiatiques et journalistiques, signalez-les moi surtout :-) mes DM sont ouverts !

Comme souvent, tous les protagonistes de l'accusation de plagiat ont supprimé leurs threads : sachez juste qu'on était sur des accusations mêlant vols d'illustrations (infondée), de plagiat littéral de quelques punchlines (fondée), et de plagiat conceptuel (partiellement fondée).

(Je garde le thread parce que l'affaire elle-même n'était que le support/point de départ de ma propre réflexion)

Sun May 08 06:39:52 +0000 2022