Monsieur Samovar

Pourquoi ce qui se passe à l'académie de Versailles et super grave pour les élèves et incidemment, ces nantis de profs : un fil où ça parle apocalypse, Marcel Proust, Andrew Garfield et Zendaya. (1/22) https://t.co/G8N5miYgsO

Si tu passes un peu de temps sur le twitter prof, tu as sans doute vu passer cette nouvelle : face à la pénurie d'enseignants, l'Académie de Versailles organise du "job dating" (erk erk erk). Le but : en 30 minutes d'entretien, tu peux être enseignant. (2/22)

On a beaucoup ri de ces reportages où sont interviewées des personnes expliquant qu'elles peuvent enseigner pour des raisons parfois incongrues. Moi aussi j'ai ricané. Bêtement. Souvent, un candidat au CAPES a des motivations également naïves. (3/22)

La différence, est qu'un candidat au CAPES dispose - encore - d'une formation. Qui lui permettra souvent de réévaluer ses objectifs.
Mais le problème n'est pas là. Le problème est que ce qui se passe est similaire l'enclenchement d'un piège à loups. Je m'explique. (4/22)

Depuis plusieurs années - je dirais que ça a vraiment commencé sous Sarkozy - le statut de l'enseignant est attaqué. Violemment. Tâches qui se multiplient, précarisation (bon courage pour trouver désormais un poste fixe), et image de + en + dégradée aux yeux du public. (5/22)

Je pourrais aussi évoquer une perte de moyen horaires (j'enseigne le français 3h30 par semaine contre 5h quand j'ai commencé), avec des exigences restant constantes, voir augmentant. Corollaire : la profession est désertée. (6/22)

Que fait donc le ministère ? Il recourt à des contractuels, plus précaires encore que les enseignants. Sans formation, et, comme c'est le cas à Versailles, avec des entretiens plus que sommaire. Tu connais 4 œuvres de Proust. Go, tu seras prof de français. (7/22)

On crée donc un métier à plusieurs vitesses : les titulaires, au statut plus stables, mais brocardés et considérés comme des dinosaures feignasses, et des contractuels, au statut très start up nation (8/22)

et donc les compétences seront, par nature, hyper aléatoires. J'ai connu des contractuels absolument extraordinaires et d'autres qui, je ne plaisante absolument pas, on faillit se foutre par la fenêtre pendant que des élèves défonçaient des murs en cours. (9/22)

"Oui, mais au moins, il y a du monde devant les élèves !" Et c'est là le piège. De plus en plus, la société se scinde. Les enfants issus de familles ayant les codes scolaires s'en sortiront, presque quoi qu'il arrive. Il faut juste qu'ils reçoivent le minimum (10/22)

et qu'ils soient gardés pendant que les parents bossent. Les autres familles, elles, trouveront leurs enfants de plus en plus en difficulté devant un corps de profs de plus en plus volatile et peu formé. Disparités dans les bahuts, donc et entre les régions. (11/22)

Mais tout ça c'est chiant, la preuve, les trois qui lisent encore ce fil ne doivent tenir que pour ma promesse de parler d'Andrew Garfield et Zendaya. Les voilà. Ils sont hyper kikinou, on est d'accord ? (12/22) https://t.co/fQofL7Cbi7

Et puis surtout, cette précarisation devient la norme (Versailles et Créteil ont TOUJOURS été le laboratoire glauque de l'Éducation Nationale, les projets qui me faisaient fumer par les oreilles quand j'y étais se retrouvent TOUJOURS appliqués nationalement + tard) (13/22)

Elle joue sur le bon gros cliché PMU de l'image du prof (pardon aux proprios de PMU) : "Ouais, moi je pourrais être prof, ça filerait droit avec moi, et j'aurais 6 mois de vacances !" (14/22)

Elle crée des divisions entre les collègues : j'en entends déjà certain se moquant des contractuels parmi les titulaires, alors s'ils se multiplient... (15/22)

Et elle affaiblit totalement la profession : si tout le monde peut l'exercer, la mission de prof n'est-elle par une arnaque ? Pourquoi encore de la formation, pourquoi encore un statut ? (16/22)

Et pendant ce temps, ce sont les élèves qui souffrent. Les mômes à qui j'enseigne actuellement et dont je suis le 4e prof de français. Les lycéens à qui j'enseignais en début d'année et qui, actuellement (17/22)

se retrouvent partagés entre 4 collègues parce que la prof titulaire est en congé maternité et non remplacée. Et bien sûr, à qui va-t-on s'en prendre, sinon, encore et toujours aux profs toujours absents ? (18/22)

On a percé des trous partout dans l'Éducation Nationale, on nous demande d'écoper le Titanic avec des petites cuillères percées de trous de la taille de mon ignorance en matière fiscale, et de dépasser une navette spatiale. (19/22)

Scoop : ça n'est pas possible. L'enseignement nécessite un investissement, c'est ce qu'il est. Comme la santé ou l'écologie. Nous sommes le temps long. Et on nous présente, dans cette époque de la rentabilité, de l'immédiat, de la punchline, comme anachroniques. (20/22)

Alors que c'est le contraire.

Lorsque j'enseigne à un môme, je sais parfaitement que mon enseignement ne portera pas ses fruits immédiatement. Il faudra un mois, un an ou quatre. C'est normal. Pourtant je n'insulte pas l'élève. (21/22)

Au contraire, je lui accorde plus d'attention encore. C'est pareil pour l'éducation.

Merci d'être resté sur ce fil gigantesque. Prenez soin de vous, renseignez-vous sur ce qu'il se passe dans l'éducation de vos enfants. On doit se serrer les coudes. (22/22)

Tue May 31 15:43:55 +0000 2022