François Malaussena

Deux trois réflexions rapides à propos de la mise en examen d'Agnès Buzyn... :

1) Apparemment il faut le rappeler : une mise en examen ne dit rien de définitif. La CJR, c'est trois formations, et pour l'instant seule la première estime qu'il y a un sujet. Qui connaît le fonctionnement de la CJR se doute de l'avenir probable du dossier, peu importe le fond. https://t.co/LSpF9xfwk1

2) Sur l'argument de la justice politique, du gouvernement des juges, tout ça : la justice n'est pas là pour déterminer si ce qui a été fait était bien ou mal, mais si des infractions sont constituées, c'est tout. Bergé le sait.
https://t.co/NXn3kBLsEb

Si et quand Buzyn sera mise hors de cause*, Bergé, cuirassée face à tout ridicule, s'en félicitera.

(* : je pense qu'elle le sera parce que la CJR est la CJR, mais qu'elle le serait même sans ça.)

3) Sur l'argument "qui va vouloir faire de la politique ?"
Personne ne va se retenir de faire de la politique par peur de conséquences judiciaires. Sauf les inconscients, on vit tous avec ça dans la tête.

Et si c'est ça qui retient des potentiels candidats aux fonctions politiques... c'est peut être pas plus mal, non ? 🤔

Ce serait d'autant plus idiot de se croire à l'abri que les ministres sont soumis au même droit que tous les Français (ils ont juste une juridiction d'exception pour les juger. Ce qui peut se justifier, c'est juste dommage qu'elle soit calibrée comme elle l'est).

Si vous voulez un métier à l'abri des conséquences, faites producteur de films hein : vous pouvez violer des enfants et recevoir des césars...

4) L'argument "un ministre qui agit en ayant sa responsabilité pénale en tête c'est pas idéal" a un peu plus de sens je trouve.

Si le parallèle "telle autre fonction ils sont responsables pénalement et ils s'en accommodent très bien" tient quand il s'agît de décisions muries sur des semaines, pas sûr qu'il soit pertinent pour des décisions prises dans l'urgence qui peuvent influer sur des tonnes de vies.

Ceci étant, c'est précisément le rôle des juges de jauger les éléments de circonstance et de contexte et de prendre en compte les incertitudes qui existaient début 2020.

Si dans le trolley problem vous tuez l'ouvrier sur la voie de garage, aucun juge ne vous condamnera pour meurtre, c'est son rôle d'apprécier que les circonstances vous ont donné un choix moins qu'idéal qui vous exonère de responsabilité. https://t.co/H9X6LfAOmk

5) Que Buzyn soit mise en examen ne me choque pas, c'est bien de vérifier s'il n'y a pas eu des négligences flagrantissimes ou de la malveillance.

Je serai plus dérangé si elle est condamnée pour un de ses choix politiques (quoi qu'on en pense)... mais pas pour les divers arguments listés plus haut.

On a depuis longtemps écarté la responsabilité pénale des élus *pour leurs actes politiques*. Ca a existé par le passé (je crois même me souvenir que c'était automatique à la fin du mandat dans certaines cités de Grèce antique), mais on y a renoncé pour une bonne raison.

Parce que quand les gouvernants qui suivent peuvent envoyer leurs prédécesseurs au trou, ils y ont un intérêt évident : ça fait des adversaires en moins aux prochains rendez-vous électoraux.
Et ça, en retour, ça incite fortement ceux au pouvoir à ne jamais le quitter.

C'est pour ça qu'on favorise la responsabilité politique à la responsabilité pénale. Précisément parce que "perdre son poste" et "prendre une amende ou de la prison" ne sont pas des sanctions comparables.

Cette discussion n'est pas la même dans un pays où la justice est indépendante du pouvoir politique, comme c'est largement le cas en France (même s'il y a encore du travail bien sûr). La justice française n'est pas "les gouvernants qui suivent".

N'empêche. Peu importe qui vous y envoie, si vous savez que vous allez vous retrouver au trou en lâchant le pouvoir, vous êtes incité à tout faire pour le conserver.

C'est pour ça que dans certains pays, il a fallu passer par des amnesties générales de crimes horribles, pour réussir à ce que des dictateurs ou des castes lâchent ou partagent le pouvoir.

C'est pas idéal, mais c'est pragmatique, comme tout en politique, c'est un tradeoff : mieux vaut un peu d'impunité de quelques-uns, que l'incitation au comportement dictatorial.

6) Tout ça est une discussion de théorie politique bien belle, le souci c'est qu'en France, la responsabilité politique se heurte à l'épreuve des faits.

Il n'y a pas de responsabilité électorale parce qu'on doit voter stratégiquement pour éviter les fafs, et il n'y a pas de responsabilité politique du gouvernement ou de l'Elysée à cause du semi-présidentialisme.
https://t.co/4K0zPNdN8n

M'est avis que les Français auraient beaucoup moins le réflexe primaire "machin en prison" si une responsabilité politique existait, si les ministres et les gouvernements sautaient quand ils déconnent.

Parce que dans un pays qui fonctionne bien, une ministre qui quitte le gouvernement du jour au lendemain en pleine crise sanitaire pour une campagne électorale, comme l'a fait Buzyn, ça donne un gouvernement et un parti présidentiel sévèrement sanctionnés. Chez nous, rien.

6) "Mais quand Buzyn est partie, comment savoir si c'était à un moment important ou pas ? A l'époque personne savait si la crise allait être grave, vous regardez le passé avec les lunettes d'aujourd'hui"

Omettons le fait qu'elle l'ait reconnu elle-même, et admettons que personne ne se doutait à cette date ce que la crise covid deviendrait... https://t.co/WEVBcbDbV8

Oui, parfois c'est pas évident de savoir si le champ est libre pour le départ d'un ministre, si son départ arrive à un moment anodin, ou à un moment qui va devenir crucial très peu de temps après parce qu'une tempête couve.

A ça, j'ai une solution, mais elle va pas vous plaire : partir de l'idée qu'un ministre, ça doit être pleinement dédié à son boulot, et pas se demander quelle ville aller prendre aux prochaines municipales.

Et pour leur éviter d'être distrait par l'avenir, on leur interdirait d'exercer d'autres fonctions que celle de ministre pendant un certain temps après leur ministère (voire même après le quinquennat). Comme ça, pas de démission soudaine pour une campagne électorale.

(Ca dissuade aussi un peu de filer des avantages à une industrie qu'ils envisageraient de rejoindre après leur ministère, au passage.)

Là où ça va pas vous plaire, c'est que pour leur éviter d'être distraits par l'avenir, ça inclut aussi par leur avenir financier : il faut les payer pour qu'ils puissent vivre, puisqu'ils peuvent pas faire autre chose qu'attendre (à part genre écrire leurs mémoires).

Bref, les payer à rien faire. Là encore, c'est un compromis.

7) Bon, et pour terminer : examiner si Buzyn a commis des infractions n'est pas incompatible avec le fait d'estimer que la responsabilité des Raoult, Di Vizio, Lalanne, Wonner, Bigard devrait aussi être examinée.
https://t.co/0mjasSzUmV

Sun Sep 12 13:46:18 +0000 2021