Guillaume Nicoulaud

Pour commencer, les entreprises privées vendent des trucs. Si vous multipliez le nombre de trucs vendus par le prix unitaire du truc, ça vous donne ce que nos amis comptables appellent le chiffre d’affaires. #Thread https://t.co/wJuEccYKRm

J’observe, avec un certain effarement, que nombre de nos élus, intellectuels et journalistes semblent penser que le chiffre d’affaires est un profit. C’est catastrophiquement faux dans toutes les configurations possibles du réel.

Quand le chiffre d’affaire rentre dans vos caisses, la première chose que vous devez faire, c’est payer vos fournisseurs. C’est ce qui va faire leur chiffre d’affaires à eux et s’ils sont prioritaires, c’est pour éviter que vos problèmes deviennent les leurs.

Viennent ensuite vos salariés. Vous avez signé un contrat qui vous engage à leur verser un salaire fixe et tout le monde se fiche de savoir si les ventes ont été bonnes ou pas. Vous devez cet argent à vos salariés — point, fin de la discussion.

Notez que « cet argent », ça n’est évidemment pas le salaire net mais le salaire brut augmenté des charges dites « patronales ». Le vrai salaire d’un salarié, c’est le superbrut, le coût total employeur, même s’il n’en touche qu’une petite partie.

Reste évidemment, si vous avez emprunté de l’argent, à rembourser vos créanciers. Ça aussi, c’est une obligation et vous devez y faire face en temps et en heure sans quoi vous êtes en défaut de paiement (et ça sent très fort la banqueroute).

Après tout ça, c’est-à-dire après avoir payé vos fournisseurs, vos salariés et vos éventuels créanciers, il peut se passer deux choses : s’il vous reste de l’argent, c’est un profit ; dans le cas contraire, c’est une perte.

C’est ce que nos amis comptables appellent le Résultat net *avant impôts*. S’il est positif (vous avez réalisé un profit), ce montant va être assujetti à l’Impôt sur les Sociétés (IS) — en gros, l’équivalent de l’impôt sur les revenus des particuliers.

(Notez qu’en vrai, vous avez déjà payé un gros paquet de taxes et d’impôts comme la TVA, la CSG, la CRDS… et que toutes ces petites choses-là sont exigibles au même titre que vos dettes-fournisseurs ou la rémunération de vos salariés.)

C’est comme ça qu’on arrive au Résultat net, c’est-à-dire à ce que vous, en tant qu’actionnaire de cette entreprise, avez gagné cette année. De là, vous avez trois possibilités : tout réinvestir, tout vous verser en dividendes ou un mix des deux.

(Note : le taux normal de l’IS est de 25% et les dividendes sont taxés à hauteur de 30%. C’est-à-dire que si votre entreprise a gagné 100 euros avant IS et que vous vous versez tout ce qui reste en dividendes, vous êtes taxé à hauteur de 47.5%.)

Le choix entre dividendes et réinvestissement est un choix stratégique qui dépend de la situation de votre entreprise. Si vous avez des opportunités de croissance, vous allez plutôt choisir de réinvestir pour développer votre entreprise.

En revanche, si vous n’en avez pas ou jugez que c’est trop risqué, vous versez des dividendes (ou rachetez des actions, ce qui revient à peu près au même). Dans les faits, la plupart des entreprises font un mix des deux.

Jusqu’en 2003-05, Microsoft ne payait pas de dividende parce qu’ils n’arrêtaient pas de réinvestir et de croître. Depuis, ils en paient très régulièrement : Microsoft est devenue une énorme boite qui vit essentiellement sur ses acquis.

Ce cas est d’ailleurs intéressant : en 2005, Microsoft avait 56 milliards de dollars de cash sur ces comptes. Une montagne de pognon qui, très clairement, ne servait à rien et qui aurait été bien plus utile ailleurs.

Du coup, ils ont payé un énorme dividende exceptionnel de $3 par action ($32 milliards au total). Évidemment, ça a eu un impact direct sur le cours de l’action qui baissait, le jour même, de $2.58 ($0.42 d’écart parce que le marché a approuvé cette décision).

Bref, la rationalité du truc c’est que si vous n’avez rien d’intelligent à faire de votre cash, autant le rendre aux investisseurs pour qu’ils le réinvestissent dans des projets qui ont besoin de cash pour se développer.

Et comme l’écrasante majorité des actionnaires directs sont des fonds gérés par des professionnels, c’est exactement ce qu’ils font : dès que vous touchez un dividende, vous le réinvestissez immédiatement ailleurs.

C’est, par exemple, ce que font les gérants du fonds de pension des fonctionnaires français (le Rafp) : un bon tiers de leurs 42 milliards est investi en actions, dont une poche d’actions non-cotées (du capital-risque).

Notez aussi qu’il est parfaitement faux de dire que les marchés d’actions cotées ne sont que des marchés de « seconde main ». Les entreprises déjà introduites en bourse y cherchent très régulièrement de quoi se financer.

Par exemple, aux États-Unis et en 2021, les introductions en bourse ne représentaient que 35% du volume total d’actions émises : le reste, environ 283 milliards de dollars, ce sont des augmentations de capital de boîtes déjà cotées.

Partant de là, distribuer une part des dividendes que vous comptiez verser aux actionnaires est-il une utilisation intelligente de ce cash ? Dans de nombreux cas : oui, absolument. Encore faut-il que vous puissiez vous le permettre.

Le côté positif, évidemment, c’est que c’est une très bonne façon de fidéliser une équipe et de lui donner quelques raisons concrètes de continuer à faire du bon boulot. Une bonne prime de fin d’année, ça fait toujours plaisir.

En revanche, vous devez aussi rémunérer votre capital. Personne, y compris les cotisants du Rafp, n’ira risquer son épargne dans une entreprise pour rien. En deçà d’un certain niveau de rendement, vous collez tout sur votre livret A et basta.

Si on met de côté les actionnaires qui se versent un salaire, la rémunération du capital c’est la rémunération du risque. Pas de rémunération du capital, pas de capital — et n’essayez même pas de me faire croire que vous êtes différents.

C’est une tarte à la crème : à chaque fois que quelqu’un se plaint des rémunérations « excessives » des actionnaires, demandez-lui pourquoi, dès lors, il ne créé pas lui-même son entreprise et rejette un système de retraite par capitalisation.

La réponse est toujours la même : « c’est trop risqué ». Pas de rémunération du capital, pas de capital. Pas de capital, pas d’entreprises. Pas d’entreprises, pas d’emplois. Pas d’emplois, pas de salaires du tout. #Fin

Mon Oct 24 10:55:47 +0000 2022