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Tiens bonne question. Et comme j'ai eu droit à la même pendant le repas de Noël voilà quelques éléments de réflexion. https://t.co/0zNbWECrp9

On va déjà reformuler la question pour en distinguer deux aspects différents.

1/ la société (nous tous) à travers ses institutions (état, système de protection sociale et hôpitaux) peut elle hiérarchiser l'accès au soins des individus selon des critères de civisme.

2/ les médecins doivent-ils tenir compte du comportement individuel des patients pour administrer leurs soins, et, quelle que soit la réponse, les situations de pénuries de moyens changent-elles quelque chose ?

Commençons par le 1/ c'est à dire, la société (toujours nous) peut-elle hiérarchiser l'accès au soins selon des critères civiques ?

Là-dedans on parle pas de morale, de bien de mal, mais d'organisation de l'accès aux soins qui est déterminée par les lois, dans le contexte de la constitution et des traités internationaux.

On va pas se taper des heures de droit de la santé, mais la réponse est globalement oui. D'ailleurs elle le fait déjà, puisque si vous n'êtes pas un européen, et si, en plus vous êtes en situation irrégulière, votre accès aux soins est différent de celui des citoyens.

Mais on va pas jouer aux débiles, c'est pas le sens de la question initiale. Le sens était : si tu fais n'importe quoi, que tu le fais volontairement, et que tu le fais en en comprenant les conséquences (ce qui exclu les personnes incapable de raisonner)...

...la société peut-elle réduire ton accès aux soins ?

La réponse là encore est oui et elle le fait déjà

Ex : si tu es insuffisant rénal et que volontairement tu vas vivre seul sur un voilier ancré au large de Clipperton, personne ne va y construire un centre de dialyse pour toi

Ex 2 : si pour une raison quelconque tu es incarcéré, tu ne peux pas consulter qui tu veux quand tu veux juste parce que tu le veux.

Que cela soit bien ou mal n'a pas d'importance. La question est de savoir si la société (nous tous) le peut, et la réponse est oui elle le peut.

D'où la question 2 : un médecin à titre individuel peut-il / doit-il tenir compte hiérarchiser ses soins.

Et quelle que soit la réponse, une situation de pénurie change-t-elle quelque chose à cette réponse ?

Alors là encore, les médecins exercent dans le cadre de la loi (essentiellement le code de santé publique, dans lequel on retrouve le code de déontologie).

Et pour faire simple, les médecins ont une obligation de moyens (pas de résultats). Cette obligation de moyens est limitée par la loi (on ne peut pas vous filer une drogue illicite même si vous le demandez). Mais votre comportement ne fait pas partie de ces limitations*

En gros on soigne avec la même conscience professionnelle le bourreau et sa victime, le démon ou le saint comme disaient les vieux.

Le * c'est que cette obligation n'impose pas au médecin de se sacrifier pour vous (coucou @ordre_medecins)

On pourrait rajouter une deuxième *

Le serment d'Hippocrate est beau, noble...super badass...mais il n'a aucune valeur légale. Et accessoirement pas un seul d'entre vous ne souhaiterait que les médecins respectent le serment d'origine. On utilise des versions modernisées.

Et donc pour finir, une situation de pénurie change-t-elle quelque chose.

Là réponse est oui.

L'obligation de moyens implique de faire avec les moyens disponibles.

S'il vous faut une IRM et que vous êtres à Clipperton, bah on va s'en passer.

Et cela s'applique aux conditions de tri.

S'il existe une seule et unique place en réanimation pour deux patients, un tri se fait.

Et ce tri ne se fait pas au pif, selon la sympathie ou l'antipathie que le médecin a pour vous.

Il se fait selon des protocoles.

Et ces protocoles déterminent quel patient a statistiquement le plus de chances de s'en sortir.

Dans le cas du COVID, il arrive souvent que cela soit celui avec le COVID.

Mais cette question masque une réalité. Dans la vraie vie, depuis deux ans, les situations de tri immédiat ont été exceptionnelles.

Mais il existe un tri invisible et c'est là le vrai sujet.

Quand on ferme des blocs opératoires parce qu'il faut redéployer du personnel, cela implique que des gens qui auraient dû bénéficier d'une intervention chirurgicale, s'en sont vus privés.

Pour une prothèse de hanche c'est pas grave (c'est embêtant, c'est douloureux, c'est injuste... Mais c'est pas grave).

Pour un cancer qui pendant ce temps continue à se développer, c'est parfois une condamnation à mort.

Et là il y a un vrai débat qu'il appartient à la société (pas aux médecins) de régler.

Et pour le faire sereinement, en pleine crise sanitaire, tous les arguments sont audibles sauf celui totalement démagogique des extrémistes de gauche, de droite, du centre (y'en a).

Et cet argument est "OUI MAIS SI ILS N'AVAIENT PAS FERMÉ DES LITS".

alors :
1/ les "ILS" en question c'est vous. Même si à titre individuel vous avez jamais décidé ça. On vit en démocratie, on a élu des gouvernements de tous bords, ils ont tous été légitimes et ont fait ce choix

2/ la situation que nous vivons est hors-normes à l'échelle de toute l'humanité. Si on avait dimensionné le système de soins pour faire face à ce type de crise à tout moment, en temps normal (c'est à dire pendant des décennies) il serait majoritairement inoccupé.

Et qui dit inoccupation dit perte de compétences.

Je reprends l'exemple de la construction d'un CHU à Clipperton. Il servirait peut-être une fois par siècle et le reste du temps ?
Et ses personnels n'auraient aucun entraînement.

Du coup :

- Existe-t-il une pénurie de moyens ?
- Oui
- Cette pénurie existait-elle avant le COVID ?
- Oui
- Est-elle aggravée par le COVID
- Oui
- induit-elle des pertes de chances graves ?
- Oui

- Cette perte de chance implique-t-elle de réfléchir à qui faire bénéficier les moyens disponibles ?
- Oui
- Est-ce le rôle de la société (nous tous) d'y apporter une réponse ?
- Oui
- Augmenter les moyens au long cours est-il nécessaire ?
- Oui

Et...En augmentant considérablement les moyens, pourrait-on s'épargner ces débats lors de la prochaine grâce crise sanitaire ?
- non. Il existe une limite de taille/activité/compétences infranchissable.

Post Scriptum, sur ces sujets complexes qui associent éthique, déontologie, morale, philosophie, économie de la santé, droits humains...

...la loi a prévu plusieurs structures pour formuler des propositions.

L'@ordre_medecins en fait partie et il a même une section entièrement dédiée à ces questions, présidée par le docteur Anne-Marie Trarieu.

Je vous laisse tenter de trouver ses propositions.

Sat Dec 25 16:13:56 +0000 2021