Sébastien Thomas
@sebnantes
Thu Dec 31 10:45:54 +0000 2020

Pour moi, 2020 aura eu au moins un avantage : je me suis senti utile.

J'ai eu envie de vous expliquer pourquoi ⬇️

Alors que monte ce sentiment de défiance irréfutable notamment à l’endroit des journalistes, cette pandémie aura mis en évidence combien notre travail, quand il est bien fait, est nécessaire pour documenter le réel.

Le réel ? Parlons-en.
J’ai été souvent, même dans ma propre famille, confronté à une critique sur la variation de « vous, les journalistes, vous êtes déconnectés de la réalité » (avec souvent un "de toute façon" devant)

A finir par en douter moi-même, à finir par culpabiliser de n’être pas en prise avec « le monde des vrais gens », coupable de ne pas avoir senti monter la fièvre jaune ou incapable de me fait l’écho des préoccupations concrètes de l’archipel français.

Et pourtant, rien ne saurait être plus faux. Quand je fais le bilan de cette décennie, quand je regarde par le bout de ma petite lorgnette, je m’aperçois que j’ai été connecté avec des centaines de réalités.

Au fil des reportages auxquels j’ai participé, seul ou en équipe, derrière la caméra ou le micro, j’ai partagé le quotidien d’artisans, de paysans, d’ouvriers, de cadres, d’associations ...

Et ce dans les banlieues comme dans les quartiers chics, des grandes villes aux campagnes profondes, des tours de la Défense aux bidonvilles de tentes en passant par les pavillons de grande couronne.

De jour, de nuit, sous la pluie, dans le froid ou brûlé par le soleil, j’ai écouté la voix de milliers de personnes, tenté de les comprendre, pour restituer en image ou par la voix, l’essence de leur parole.

Je suis parti en mer avec un pêcheur, en tournée avec un facteur, en boîte avec des danseurs, en consultation avec un docteur ou en stage avec des footballeurs.

J’ai vécu le levé aux aurores d’un boulanger, accompagné un cheminot lancé à plus de 300 à l’heure, partagé le quotidien d’un homme en campagne ou labouré (à pied) le champ d’un cultivateur.

J’ai passé des milliers heures à tenter de comprendre d’autres vies que la mienne, à me faire expliquer des métiers, à me documenter, à apprendre, à ne pas me laisser dicter ni ma plume ni ma conduite, à parfois passer par la fenêtre quand la porte se refermait.

J’ai partagé un peu du désespoir de sinistrés après des tempêtes, de familles déchirées au tribunal. J’ai partagé un peu de la joie d’équipes championnes ou d’artistes triomphants.

J’ai vu la peine de couples endeuillés par la perte d’un enfant. J’ai compris les nuits d’insomnie d’entrepreneurs sur la paille ou la détresse de migrants déracinés. J’ai attendu, souvent. En planque. La fin d’une conférence de presse. Des résultats du bac. Le temps additionnel.

J’ai vécu, par le prisme de bien d’autres, une décennie de sentiments mêlés à démêler.
Et si je suis « parti en reportage », c’est pour revenir, à chaque fois, irrémédiablement changé.

Plus instruit, et paradoxalement, toujours plus humble, écrasé par le fardeau de cette question permanente : comment restituer sans trahir la complexité des choses ?
Je ne dis pas que j’ai réussi, je dis que j’ai essayé, à chaque fois. Et que ça a du sens.

Aussi, à l’aube de cette année nouvelle, tandis que personne ne semble devoir vraiment regretter le dernier dixième de la décennie qui s’achève … j’ai paradoxalement envie de dire merci à 2020 pour m’avoir montré que je servais à quelque chose. Et j’ai envie de continuer.

Pardon pour les grands mots, pardon pour les "moi je" mais je ne parle que pour moi, et j'avais envie, besoin, de partager. Enfin, à défaut de vous souhaiter une bonne année, tout à l'heure, que celle-ci s'achève du mieux possible :-)

Thu Dec 31 10:56:36 +0000 2020