Au JO ce matin, la modification du fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) tant attendu... Petit (long) thread d'explications / rapides commentaires. Pas de prétention à l'exhaustivité, mais quelques éléments article par article.
Déjà : pourquoi un décret et pas une loi ? La FNAEG est bien encadré par des textes législatifs (https://t.co/FoIyvuFhKm) mais les détails (les plus importants) sont réglés par décret. Ce sont ces détails qui sont modifiés aujourd'hui. Analyse article par article :
Art. 2 : Ajout de la liste des finalités du fichier. L'article 706-54 (CPP) prévoyait déjà des objectifs au FNAEG, mais aucune liste n'était faite par le décret. C'est désormais chose faite. Rien de surprenant ici si ce n'est la recherche en parentèle (https://t.co/CjBPyNtEUm)
qui est définitivement entérinée puisque mentionnée parmi les finalités. Le reste est classique. C'est flou, imprécis, mais classique.
Art. 3 : C'est la modification de la liste des cas dans lesquels on peut enregistrer votre ADN au FNAEG. On y trouve essentiellement quelques ajustements techniques et des mises en conformité avec la loi (art. 706-56 CPP) mais aussi quelques ajouts intéressants.
La recherche en parentèle peut ainsi être élargie "sur les collatéraux aux deuxième et troisième degrés de la personne disparue", avec leur accord, pour les personnes disparues. Ajout aussi de la recherche pour les victimes de catastrophes naturelles.
Art. 4 : Là encore, de nombreux petits ajouts et ajustements, cette fois dans les données collectées à côté de l'ADN et enregistrées aussi dans le fichier. On trouve par exemple l'ajout du "cadre procédural" de prélèvement.
Art. 5, 6 et 7 : ajustements techniques. Art. 8 : suppression des articles relatifs à la demande de suppression / modification des données par la personne fichée. C'est parce que de nouveaux articles arrivent juste après, patience !
Art. 9 : Modification des durées de conservation. C'est LE point sur lequel la modification était attendue depuis longtemps. Elle avait été demandée par la CEDH (https://t.co/MMtsAgEZnv) et par le Conseil constitutionnel (https://t.co/p8c8iMUMHw). C'est enfin chose faite !
De 40 ans pour tout le monde, on passe donc à 25 ans de principe pour les personnes condamnées. La durée de 40 ans reste toujours d'actualité mais seulement pour une liste d'infractions considérées comme graves (il y a tout de même beaucoup d'infractions concernées).
Pour les non-condamnés, la durée passe à 15 ans (avant : 20 ans) mais peut aller jusqu'à 25 ans pour certaines infractions (même liste). Ces durées sont réduites à 10 ans (15 si infraction grave) ou 15 ans (25 si infraction grave) pour les mineurs.
Art. 10 : Ces délais de principe sont des délais maximum. Les informations des personnes non condamnées doivent être supprimées plus tôt si relaxe / acquittement (pas si seulement classement sans suite par ex.).
Le Procureur peut aussi de lui-même ou à la dde de la personne, effacer les données avant la fin du délai. Pour les non-condamnés, cet effacement n'est de droit que si relaxe / acquittement. Sinon, le procureur peut en "prescrire le maintien", sauf si l'infraction est prescrite.
Il décide en fonction "des raisons liées à la finalité du fichier, au regard de la nature ou des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de la personne concernée". Pas de critères plus précis.
Pour les personnes condamnées ou irresponsables, la demande d'effacement ne peut être adressée qu'à l'issue d'un délai de 3 ans quand le délai de conservation est de 15 ans, de 7 ans quand ce délai est de 25 ans et de 10 ans quand ce délai est de 40 ans.
Le procureur a trois mois pour répondre. En cas de refus opposé à une demande d'effacement, aucune nouvelle demande ne peut être formée avant un an. Un recours est par contre possible devant le président de la chambre de l'instruction.
Le président de la chambre statue sans avoir entendu la personne. Aucun pourvoi en cassation n'est possible (sauf si problème de forme). On notera que le JLD disparaît du processus (il était un recours intermédiaire avant).
Art. 11 : Pas de droit d'opposition, et limitation des droits de rectification et information. Rien de nouveau ici.
Art. 12/13 : Ajustements sur le magistrat qui contrôle le fichier. Création d'un rapport annuel adressé aux ministères de la justice et de l'intérieur + CNIL (pas rendu public, a priori). Art. 14 : ajustements techniques.
Art. 15 : Explicitation des données collectées dans le cadre du suivi des accès. Conservation du journal d'accès pendant 3 ans (relativement court, compte-tenu de la durée de conservation des données ADN).
Art. 16 : Grosse nouveauté. La FNAEG pourra désormais être interconnecté avec Cassiopée (suivi des procédures judiciaires), le nouveau dossier pénal numérique, les fichiers des laboratoires mais aussi les logiciels de rédaction de procédure et la plateforme d'Interpol.
S'il avait été initialement question d'interconnecter le FNAEG avec le TAJ, le FAED, le fichier SIS et le FPR, nulle trace a priori de ces interconnexions dans cette version finale du décret. Une ouverture certaine et critiquable tout de même !
Art. 17 et 18 : Modifications mineures des articles relatives à l'échange international des données génétiques.
Art. 19 : Durée d'un an laissé au procureur pour demander l'enregistrement de l'ADN après une condamnation ou une décision d'irresponsabilité pénale. Le délai existait déjà, mais était uniquement lié à l'exécution de la peine (ancien article R53-21).
Art. 20 : Déplacement de textes relatifs à la conservation des scellés. Art. 21 : Pouvoir donné au magistrat autorité de contrôle du fichier d'accéder au service de stockage des scellés. Art. 22 : Dispositions transitoires relatives aux recherches en parentèle.
Comme prévu par la Loi Informatique et Libertés, la @CNIL a donné son avis sur ces modifications : https://t.co/DG0nSNJ3qV. Quelques points intéressants :
La CNIL souligne que le FNAEG, "dont la création était entourée de circonstances singulières [...] constitue un [fichier] susceptible d'être considéré, par nature et en raison notamment des données qu'il contient, comme plus attentatoire aux libertés individuelles que d'autres".
Elle "relève que les mutations successives relatives au périmètre du FNAEG, ainsi que certaines de ses conditions de mise en œuvre, ont conduit à en faire un fichier d'une ampleur très conséquente, au sein duquel des données hautement identifiantes sont enregistrées".
La CNIL alertait sur trois points : l'extension du périmètre des proches d'une personne disparue, l'utilisation de ces données pour des recherches en parentèle ainsi que les modalités de comparaison et la création d'un nouvel identifiant commun.
Ce dernier point n'a heureusement pas été retenu dans le décret qui ne vise la création d'un "numéro d'ordre" que pour l'interconnexion avec le fichier du service de prélèvements. Sur la recherche en parentèle, le problème de l'extension est déjà connu : https://t.co/EiUPoFWWWF.
La CNIL pointe aussi des risques liés à la sécurité informatique. Elle met également en garde contre l'utilisation de "briques" techniques obsolètes. L'avis est très long, et il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais ce thread est déjà (trop) long...
En résumé, que dire sur ces modifications ? Elles ne sont pas surprenantes. Le gouvernement prend acte, a minima, des critiques faites, mais le FNAEG reste un fichier très problématique, au devenir gargantuesque et à l'utilisation toujours plus généralisée.